Julien Le Gallo : Je suis un peu ennuyé qu’il reste aussi peu de temps. Les discussions de cette table ronde ont été, comme les précédentes, extrêmement riches. J’aurais plusieurs questions à poser à chacun des trois intervenants et crains d’être trop long. Je ne sais pas comment on pourrait matériellement s’organiser pour poursuivre la discussion. J’imagine que tout le monde souhaite intervenir sur ces trois sujets, qui étaient très intéressants, et en même temps très distincts.
Je commence par adresser mes questions à Valérie Bonnet sur l’enseignement et l’évaluation dans les classes technologiques. Tu disais, il me semble, qu’une année, tu avais essayé de faire des exercices tout au long du premier trimestre. C’est quelque chose que je n’ai pas essayé. Je voudrais savoir si cela t’a permis d’obtenir une amélioration significative des résultats des élèves sur les deux trimestres suivants. N’y a-t-il pas eu un décrochage important entre les résultats du premier trimestre et ceux des trimestres suivants ?
Concernant la proposition d’une évaluation à l’oral, est-ce qu’il n’y a pas un risque, si l’on demande aux élèves de faire une épreuve sur dossier de type TPE, qu’ils ne se contentent de travailler sur un seul sujet pendant l’année ? Le programme des classes technologiques n’a pas l’organicité qu’il a dans les classes générales. Est-ce qu’il n’y aurait pas danger qu’ils ne rencontrent qu’une seule question philosophique sur la totalité de leur année ? Par exemple, la question politique au détriment de toutes les autres.
La troisième question porte sur l’amélioration ou les changements qui pourraient être apportés à l’épreuve écrite. Les propositions qui ont été faites m’apparaissent intéressantes, même si je suis un peu réservé sur celle de la rédaction d’un dialogue par les élèves, qui me semble mobiliser des compétences de rédaction qui ne sont pas forcément évidentes pour les élèves auxquels nous sommes confrontés. En revanche, pour rassurer les élèves, ne pourrait-on pas envisager de calquer d’une manière formelle les épreuves de philosophie sur celles qu’ils connaissent déjà en français, avec une notion unique sur laquelle ils seraient interrogés, et deux types de sujets portant sur un même corpus de textes ? Il y aurait en ce cas une question générale, qui permettrait de s’assurer qu’ils ont bien lu les trois textes, qu’ils ont perçu quel était leur enjeu commun. Ensuite on leur donnerait le choix entre une explication de textes guidée, avec des questions dont on pourrait espérer qu’elle soit plus satisfaisante que ce qui est le cas actuellement, et une dissertation guidée, dont on pourrait souhaiter là aussi qu’elle soit plus satisfaisante pour orienter la réflexion des élèves que la proposition qui a été faite par le ministère pour la section STHR.
J’ai aussi des questions à destination de Pierre Windecker sur l’évaluation. Il me semble que dans ton intervention, tu as convoqué deux modèles d’évaluation qui m’ont semblé distincts : le modèle du jugement réfléchissant selon Kant, et le modèle du jugement selon l’équité, qui consiste à adapter la règle au cas, qui figure notamment dans l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. J’aurais tendance à distinguer ces deux modèles, le jugement réfléchissant et le jugement éthique ou équitable. Il me semble en particulier que notre pratique d’évaluation est plus proche du jugement du juge selon Aristote que du jugement réfléchissant. Lorsque nous corrigeons une copie, nous sommes davantage dans la position d’un juge que d’un critique face à une œuvre d’art. J’ai l’impression que nous avons une idée relativement claire de ce qu’est une copie réussie, ou par défaut, de ce qu’est une copie ratée.
Je pense qu’on pourrait, malgré ce que tu semblais dire dans ton exposé, faire une liste de critères qui nous semblent importants, dont on ne souhaiterait évidemment pas qu’ils soient associés à un barème, mais que nous prendrions malgré tout en compte dans notre notation. Par exemple, le travail de définition, de distinction conceptuelle, l’élaboration d’un problème, les transitions problématiques, une conclusion qui récapitule les étapes du raisonnement, etc. Est-ce qu’on ne pourrait pas faire la liste de tous ces critères, implicites mais présents dans notre activité de juge ? Et essayer de voir si ce n’est pas sur la hiérarchie de ces critères, plutôt que sur leur réalité, qu’il y a éventuellement problème. J’ai l’impression qu’en réunion d’harmonisation c’est de ce point de vue là qu’il y a difficulté. Nous reconnaissons tous les points de vue positifs ou négatifs d’une copie. Cette manière d’évaluer les copies repose sur les points objectifs qui s’y trouvent, et qui renvoient à des règles que nous appliquons de manière implicite. En revanche, c’est le problème de la hiérarchie.
Mais là aussi, de même qu’il y a une histoire de l’interprétation des règles de droit, ne pourrait-on pas envisager une histoire de l’interprétation de la hiérarchie des critères appliqués aux copies ? Je pense qu’on pourrait, de manière collective, au sein de l’Association, essayer de voir si, par exemple, l’histoire ne veut pas qu’à un moment donné ce n’est pas la problématisation qui prenne le pas sur les connaissances doctrinales qui peuvent figurer dans les copies, ou éventuellement la clarté conceptuelle ou argumentative. J’ai l’impression que le travail de l’Association cette année va dans le sens d’une modification historique des critères, puisqu’on a pu voir aujourd’hui, que le lieu de la problématisation peut être la fin du devoir. Cela me semble une très bonne évolution, mais une évolution quand même. Est-ce que l’on ne pourrait pas d’une part réfléchir à l’historicité de nos critères de hiérarchie et de nos critères d’évaluation ? et d’autre part réfléchir collectivement à une sorte de norme du droit de l’évaluation qui pourrait être partagée au sein de la profession. Évidemment, il ne s’agit pas du tout de fixer un barème, mais une simple fourchette indicative et non contraignante, que nous pourrions partager, de manière à rendre moins problématique l’exercice d’harmonisation au sein des jurys.
Enfin, j’ai des questions sur l’œuvre suivie. Elles vont être un peu décentrées par rapport à l’exposé qui a été proposé par Jean-Louis Lanher, car elles renvoient à la proposition de l’Inspection de se servir de l’œuvre suivie comme d’un fil rouge. Cela me semble intéressant, et en même temps assez perturbant. Intéressant, d’abord, parce que le fait de se servir de l’œuvre suivie comme d’un fil rouge permet de gagner du temps dans l’année, puisqu’ainsi nous ne passons pas une partie de l’année à étudier les notions, et une autre à étudier l’œuvre suivie. Intéressante, aussi, parce que cela permet d’étudier des œuvres plus vastes. Intéressante, enfin, parce qu’en étudiant une œuvre toute l’année, il y a plus de chance qu’elle soit lue par les élèves.
En même temps, il me semble qu’il y a quatre risques à ce changement paradigmatique. Le premier, que la Régionale francilienne a pointé lors de sa rencontre avec l’Inspection il y a trois semaines, c’est le risque de perte de l’organicité de l’œuvre. En la démembrant, en intégrant les différents fragments au sein des différentes notions que nous traitons au cours de l’année, le risque est que, finalement, soit perdu l’enchaînement logique qu’il y a dans le trajet singulier de l’auteur.
Le deuxième risque, c’est que nous fassions des extraits prélevés dans l’œuvre un usage instrumental, ce qui est peut-être déjà ce que nous avons tendance à faire lorsque nous traitons des sujets sous forme de dissertation avec nos élèves. Or, il est important de leur rappeler que les auteurs n’ont pas écrit des pages, mais des œuvres qui ont une unité.
Le troisième risque est peut-être purement corporatiste : il me semble qu’en intégrant l’étude de l’œuvre à chacun de nos cours, nous devrions les refaire chaque année. À titre personnel, je change d’œuvre tous les ans, mais je ne refais qu’un tiers de mes cours et je ne vois pas du tout comment m’en sortir si la contrainte indiquée par l’Inspection est de faire en sorte d’étudier une dizaine d’extraits de La République disséminés dans différents cours.
Le quatrième risque est la canonisation de certains textes. Ce risque est aujourd’hui perceptible lorsque les professeurs anticipent le fait que les examinateurs puissent éventuellement devoir interroger les élèves sur des œuvres qu’ils n’ont peut-être pas lues — je pense par exemple à la Conférence sur l’éthique de Wittgenstein que j’avais étudiée une année. Ils se rabattent alors sur des œuvres qui ont été canonisées, mais qui n’ont pas une importance centrale dans l’histoire de la philosophie, par exemple, la Lettre à Ménécée. En même temps, à part La République, que nous avait indiquée Jeanne Szpirglas, quelle autre œuvre peut-elle se prêter à la lecture par les élèves de Terminale et à l’étude de toutes les notions du programme ? Il y a finalement assez peu d’œuvres dans lesquelles les philosophes ont réussi à penser la totalité du réel. C’est sans doute le cas des grands philosophes, mais rarement dans une seule œuvre, ou alors dans L’Encyclopédie de Hegel, l’Éthique de Spinoza ou Le monde comme volonté et représentation.
Donc, je vois ici une difficulté et je souhaiterais que l’Association insiste auprès de l’Inspection sur la nécessité de préserver la liberté pédagogique des enseignants et de rappeler la pluralité qu’il peut y avoir dans le choix de l’œuvre suivie. Son étude peut commencer l’année, comme Jean-Louis l’a indiqué, et permettre de découvrir la philosophie, par exemple par la lecture d’un dialogue de Platon. Elle peut la clore sur le mode d’un récapitulatif de l’ensemble des champs du programme, relu à travers une œuvre, par exemple Malaise dans la civilisation, qui permet de faire tout le programme, mais aussi de récapituler le travail de l’année. On peut aussi, et cela me semble la solution la plus simple, articuler l’œuvre et un champ, sur le mode d’un cours particulier de l’année. Excusez-moi pour la longueur.
Valérie Bonnet : Je n’ai jamais fait seulement des exercices au premier trimestre. J’ai toujours fait au moins une dissertation, mais avec des exercices qui aboutissent à la dissertation. Quant à la question du décrochage, je ne me l’étais pas vraiment posée, mais il me semble que non, il n’y en a pas. S’il y a un décrochage, il concerne certains élèves seulement : quand on leur demande un exercice court, par exemple analyser un sujet ou rédiger une seule partie, ils veulent bien le faire, et ensuite, quand on leur demande l’exercice en entier, à la maison en tout cas, ils ne le font pas. Ils le font éventuellement en classe, lorsqu’ils sont contraints de rester à leur bureau au moins deux heures.
Pour les questions suivantes, j’ai essayé de proposer une synthèse de ce qui était dans les contributions, ce n’était pas nécessairement mes propositions. Néanmoins une évaluation à l’oral, suivrait plutôt ce qui se passe en DGEMC plutôt que dans les TPE. Elle reposerait sur l’enseignement en cours d’un programme de notions comme c’est le cas actuellement, avec le travail de groupe en parallèle. Il me semble que les élèves ne pourraient pas faire un dossier de philosophie, impossible à préparer dès le début de l’année, sans avoir eu au moins un trimestre de cours, où ils auraient fait des exercices, par exemple de problématisation. Comme en DGEMC, il faut un aperçu de la matière, le risque étant que les élèves ne se désintéressent des cours, une fois qu’ils se sont lancés dans la préparation du dossier. Pour éviter ce risque, on pourrait envisager que l’examinateur ait le droit, dans l’entretien, de poser des questions sur le dossier, mais aussi sur les notions du programme.
Sur le corpus, je pense que c’est une idée à rajouter.
Pierre Windecker : Le jugement réfléchissant et la règle malléable de l’équité ne s’équivalent pas en effet. Mais je voudrais les rapprocher et expliquer pourquoi je crois utile de le faire. On peut les rapprocher. D’une part, le jugement réfléchissant n’en reste pas nécessairement au suspens infini qui caractérise le jugement esthétique : dans le jugement médical, dans le jugement judiciaire, il compose aussi avec des règles et vise à une détermination. D’autre part, la règle d’équité n’est maniable que par l’homme prudent, sagace, disons : « réfléchi », le phronimos. Si on peut les rapprocher, pourquoi le faire ? Pour attirer l’attention sur le moment subjectif du jugement, que nous tendons spontanément à oublier au profit de sa visée objective. En elle-même, la règle en plomb de Lesbos, la règle d’équité, ne paraît s’intéresser qu’à l’objet, pour en épouser le contour. La rapporter au jugement réfléchissant, c’est rappeler que l’objet n’est pas donné hors d’une réflexion du sujet.
C’est pourquoi je souscris entièrement à ce que tu proposes ensuite, mais moyennant une précision modale qui me paraît nécessaire. Énoncer et lister des critères, cela peut être très utile. Mais je crois qu’il faut toujours souligner que leur hiérarchie ou leur poids relatif continue de dépendre, au moins dans une large mesure, du sujet et de la copie elle-même. Et toujours rappeler qu’établir une telle liste n’est pas imposer de ces critères une formulation qui serait la seule valable, ni prétendre à l’exhaustivité. Au fond, l’utilité (elle peut être grande de ce point de vue) que je trouve à une forme d’énonciation quelconque de critères, c’est, comme l’écrit Francis Aubertin dans un article publié sur le site de l’APPEP, qu’elle permet de « se ressouvenir » de tous, de conjurer l’inattention et l’oubli qui accompagnent une focalisation excessive sur quelques critères seulement, en bref, qu’elle aide à « élargir » son jugement. Comme tu vois, c’est de nouveau sur le moment subjectif que je mets l’accent. Je continuerais de me méfier, en revanche, d’une entente sur des critères qui entretiendrait l’illusion de s’orienter droit sur l’objet.
Par ailleurs, cette insistance sur le moment subjectif (ou purement réfléchissant) du jugement justifie entièrement qu’on s’intéresse de près, et en y accordant une importance éminente, comme tu le proposes, à l’histoire de notre regard sur les copies. Comprendre en quoi et surtout pourquoi notre interprétation des « critères » et de leur hiérarchie a pu évoluer dans tel ou tel sens, cela pourrait aider grandement au travail des commissions d’entente.
En dernier lieu, je voudrais dire que je trouve très pertinente ta manière de rapprocher le moment objectivant et déterminant de l’évaluation (il existe !) de l’application d’une règle de droit – qu’on pourrait opposer à celle d’une règle technique. C’est rappeler que ce qui menace l’évaluation, c’est tout simplement l’arbitraire, qui loge toujours où on ne le voit pas. Et c’est faire ressortir que pour le contrer on ne peut compter que sur les efforts herméneutiques (et donc leurs conditions dialogiques) qui, seuls, permettent l’application équitable d’une règle de droit.
Jean-Louis Lanher : Je veux revenir sur les questions concernant l’usage de l’œuvre suivie et la notion d’instrumentalisation. Ce qui a été dit, c’est que, si l’on comprend bien les idées émises par l’Inspection aujourd’hui, ce qui est premier, c’est le cours, pourrait-on dire, et l’œuvre serait utilisée dans la perspective du cours. À ce moment-là, l’œuvre devient instrumentalisée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’effort pour véritablement comprendre l’objet précis d’un texte ou la problématique d’un auteur pour elle-même. L’ouvrage de Françoise Raffin, L’usage des textes dans l’enseignement de la philosophie, commence effectivement par un développement intitulé « Instrumentalisation ou usage des textes ? » dans une situation d’enseignement où la tendance à l’instrumentalisation existe déjà. En 1966, si je ne me trompe, l’épreuve d’explication de texte est introduite au Baccalauréat. Il a été dit alors qu’il fallait en venir aux textes pour faire progresser d’un cran l’enseignement. Mais ce qui s’est produit, c’est que, dans les faits, il y a eu une tendance à l’instrumentalisation des textes, tendance qui est néfaste, puisque l’antidote présumé, c’est l’historicisme, avec les impasses auxquelles il nous conduit. Donc je pense qu’il ne serait pas superflu de réfléchir un tout petit peu historiquement parce qu’il ne faut pas rentrer aujourd’hui dans cette utilisation instrumentale des œuvres, qui n’est pas vraiment formatrice, et qui risque de mener comme hier vers l’histoire de la philosophie comme antidote.
Ensuite, cette utilisation instrumentale des œuvres conduit inévitablement à en canoniser certaines. Dans les listes de bac, les mêmes œuvres vont apparaître. Je me mets à ta place : tu as fait un effort très réel pour expliquer Wittgenstein, mais d’une certaine façon, tu t’étais moins cassé la tête, en t’en tenant par exemple à une œuvre plus fréquente dans les listes de bac, telle la Lettre à Ménécée, tes élèves auraient été plus sûrement préparés pour l’oral du baccalauréat, tandis que si tu expliques Wittgenstein, il n’est pas certain que la communauté des interrogateurs comprenne la pertinence de tes analyses, faute d’avoir disposé du temps nécessaire pour travailler ce texte. Qui dit instrumentalisation des textes, dit canonisation des œuvres. C’est pourquoi je suis d’accord avec toi, il ne faut pas oublier l’exigence de comprendre l’organicité des œuvres, même si c’est difficile. C’est l’horizon vers lequel on doit aller.
Une dernière chose. Dans un article intitulé « La lecture en classe de philosophie », Bernard Fischer estime que certains textes à connotation philosophique, mais qui ne sont pas des œuvres philosophiques, peuvent être utilisés pour concevoir des cours. Par exemple, au lieu de faire un cours sur l’inconscient, on fait lire aux élèves un article de Freud et on travaille à partir de là. Il y a là l’idée de distinguer deux types d’œuvres, celles à connotation philosophique philosophiques, certes, mais qui ne sont pas des textes fondamentaux, avec lesquelles on pourrait commencer, et celles qui exigent davantage une lecture organique.
Pierre Windecker : J’aimerais apporter témoignage autour du travail fait avec Françoise Raffin, à propos de cette question de « l’œuvre comme manuel ». C’est, je crois, une formule précieuse et dangereuse. Il faut qu’on essaye de l’élucider. En réalité, il n’a jamais été question d’aller chercher des extraits à droite et à gauche dans une œuvre, et de les traiter au gré de nos leçons, ce qui serait démembrer l’œuvre, supprimer sa problématicité propre et l’aventure de pensée qu’elle peut représenter dans toutes ses parties. Il y avait là-dedans plusieurs idées. L’une d’entre elles, était d’essayer de prendre une œuvre dans sa totalité, quitte à ce qu’en Terminale ce soit sous forme d’extraits. J’ai pratiqué cela avec l’Éthique à Nicomaque, Les Politiques d’Aristote, le Discours de la méthode et je regrette de ne pas l’avoir fait avec d’autres œuvres, comme le Contrat social, par exemple. Une œuvre est une aventure de pensée, ce n’est pas simplement le déroulement d’une logique d’énoncés, ce sont aussi des rebondissements d’énonciations, des événements de pensée qui se prêtent même, de ce fait, à une forme de narration. Quand on saute des passages importants, des moments quasi-narratifs interviennent : voilà ce qu’Aristote a dit de telle section à telle section. Bien sûr, on ne se contente pas de raconter, mais le questionnement lui-même a suffisamment un aspect d’aventure, de péripéties, pour qu’un élément narratif s’y mêle. Évidemment, les passages sautés ne peuvent pas faire l’objet d’interrogation à l’oral du bac, il n’en est pas question. Mais le but est de prendre l’œuvre dans son entier, de la travailler dans son organicité ou sa problématicité de bout en bout, d’isoler quelques extraits pour les travailler vraiment, quant au reste, d’en parler sous cette forme qui est une réflexion narrative ou une narration réfléchissante, comme on voudra. Mais il ne faudrait pas que vienne au jour une doctrine selon laquelle on pourrait prendre une œuvre pour aller y chercher ce dont on a besoin dans le désordre. Ce serait évidemment totalement absurde. Le rapport entre l’œuvre comme manuel et le reste du cours et des corrigés de dissertation, c’est que nous ne posons pas à l’œuvre les questions qu’elle ne pose pas. Par contre, le travail qui est fait en dehors de l’œuvre instaure une sorte de considération réfléchissante. Ensuite, l’œuvre pose ses propres problèmes, ou du moins on dégage d’elle la façon dont il nous semble qu’elle interroge et qu’elle avance. Et cela est ensuite réinvesti dans le cours et dans les sujets de dissertation. Cela permet de travailler sur une partie plus ou moins importante du programme, avec toujours l’œuvre en contrepoint. Il y a la mélodie et le contrepoint, mais il n’est certainement pas question d’instrumentaliser l’œuvre. C’est hors de question.
Marie Perret : Vu l’heure, on va peut-être s’arrêter là. Merci à tous.