L’enseignement philosophique, revue à comité de lecture publiée trimestriellement sous la responsabilité de l’Appep (Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public), lance un appel à contributions sur la musique.
La musique est relativement peu mobilisée par les cours de philosophie de l’art, en comparaison, par exemple, de la peinture. Cela tient-il à la grande technicité qui lui est généralement reconnue, alors qu’il existe, pour d’autres arts comme la peinture ou la littérature, une présomption de relative compétence ? Cela tient-il à l’histoire de la philosophie elle-même, à un primat donné à certains arts plutôt qu’à d’autres en raison même des problématiques et des contextes qui étaient les siens ? Il n’en est que plus nécessaire d’explorer ce que la philosophie a à dire de la musique et en quoi celle-ci peut donner à penser.
C’est au XVIIIe siècle, alors que se constitue véritablement l’esthétique comme discipline et domaine spécifique de la philosophie, que la musique acquiert une forme de centralité et est prise au sérieux au moins à l’égal des autres arts. Les philosophes ont débattu sur l’opéra : on sait les enjeux de la dispute qui a opposé Rameau à Rousseau (lequel, du reste, soutient l’idée d’une origine musicale du langage même) sur le rapport entre mélodie et harmonie. Hegel assigne à la musique une place parmi les arts les plus proprement spirituels, les arts romantiques. Schopenhauer en fait l’expression sans médiation de la Volonté. Nietzsche, philosophe musicien, en fait ce dont l’esprit irrigue toute pensée véritablement vivante.
Qu’est-ce que la musique nous permet de penser de l’art en général ? En quoi le recours à la musique permet-il de déconstruire ou de corriger certaines représentations figées sur l’essence de l’art ? Mais aussi : en quoi la musique a-t-elle une réelle unité ? N’y a-t-il pas des musiques ? Et, parmi les distinctions, que faire de celle qui oppose musique savante et musique non savante ? La musique, enfin, peut-elle être aisément abstraite des touts dont elle est partie prenante (la musique dans le cinéma, la nature théâtrale de l’opéra, l’athlétisme du chanteur populaire, le ballet…) ?
On peut en outre se demander si la théorie de l’art comme imitation ou comme représentation, ou celles qui concernent le statut ontologique de l’œuvre d’art, seraient exactement ce qu’elles sont si elles avaient pris comme point d’ancrage la musique. Les arts plastiques, arts du visible, semblent en effet constituer plus directement le terrain idoine des problématiques métaphysiques inaugurées par Platon. En quel sens peut-on dire de la musique qu’elle est imitative ? En quoi consiste exactement une œuvre musicale ? Quelle est sa teneur ontologique, son « hic et nunc » pour reprendre une terminologie benjaminienne ? Compte-t-elle d’emblée parmi les arts qui n’ont pas à dépasser la sacralité de « l’aura » ? Ce questionnement ontologique peut conduire à traiter de sa matière même, à savoir le son (si c’est de cela qu’il s’agit), de son articulation et de ses modulations. Se pose ici la question, qui relève de la philosophie du langage, de la signification que peut avoir la notion de « phrase » musicale et de la manière dont la musique, indépendamment des mots, produit du sens.
Mais la réflexion sur la musique ne reste pas cantonnée aux réflexions métaphysiques et esthétiques. Elle est sollicitée par l’éthique, d’abord à travers la notion d’harmonie, et ce dès la philosophie pythagoricienne. Elle entre dans les réflexions de la Renaissance sur les mérites comparés des arts. « La musique, écrit Léonard de Vinci dans ses Carnets, souffre de deux maux, l’un mortel, l’autre épuisant. Le mortel est toujours inséparable de l’instant qui suit celui où elle s’exprime, l’épuisant est dans sa répétition et la fait méprisable. » Y a-t-il une actualité de cette approche éthique de la musique ? C’est sans doute en partie sur ce terrain, qui croise une interrogation politique, qu’il est possible de se reporter aux travaux d’Adorno sur la musique sérielle ou sur le jazz, dans lesquels il voit des symptômes de l’esprit contemporain.
Ces quelques observations et pistes de réflexion ne sont nullement des passages obligés, mais valent comme des encouragements à ouvrir des chemins réflexifs multiples sur la musique.
Les contributions, d’une longueur maximale de 30 000 caractères, espaces et notes comprises, devront être adressées au secrétariat de la revue (revue@appep.net) au plus tard le 1er août 2025.
Elles pourront prendre la forme d’articles, mais aussi de recensions ou de traductions présentées et commentées.