À la suite de la lettre que l’APPEP a adressée au Président de la République, nous sommes reçus le 11 janvier 2019 par M. Thierry Coulhon, conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche, innovation à l’Élysée.
L’APPEP était représentée par Nicolas Franck, président, Alain Champseix et Pierre Hayat, vice-présidents.
Nous disons à M. Coulhon que l’application de la réforme affaiblirait sensiblement l’enseignement de la philosophie. La TL rendait possible un enseignement approfondi de la philosophie qui n’est pas remplacé par la nouvelle spécialité « Humanités, littérature et philosophie » (HLP). Cette spécialité ne permet pas à des élèves de 16 ans de s’initier à la philosophie. Nous signalons les incertitudes sur la répartition des heures d’enseignement entre les professeurs de lettres et ceux de philosophie, et sur l’évaluation de l’épreuve.
M. Coulhon nous rassure sur le premier point : le cabinet du ministre de l’Éducation nationale lui a confirmé la répartition hebdomadaire de l’horaire : 2 h en Première et 3 h en Terminale. Nous prenons acte de cette information dans l’attente d’une inscription au BO. En revanche, il ne peut rien nous dire ni sur la nature de l’épreuve, ni sur sa correction séparée. Cette incertitude est source de confusion et d’inquiétude pour les élèves.
M. Coulhon aborde ensuite la question de l’enseignement commun, en faisant valoir que la philosophie bénéficie d’un traitement favorable dans la réforme : elle est la seule discipline à faire l’objet d’une « épreuve universelle » et bénéficie de 4 h hebdomadaires. Nous lui répondons que les élèves des séries technologiques n’ont que 2 h hebdomadaires dans des conditions toujours difficiles et quelquefois impossibles. Nous faisons également remarquer que le français est, lui aussi, à bon droit, une « épreuve universelle ». Et surtout, nous lui indiquons que le calendrier de l’année de Terminale marginalise l’épreuve de philosophie : l’organisation de la Terminale qui place les épreuves communes en février, puis celles de spécialité début mai, déséquilibre l’année scolaire et contredit les prétentions de la réforme à la prise en compte des résultats du baccalauréat pour les affectations dans le Supérieur. M. Coulhon enregistre nos remarques.
Notre interlocuteur nous interroge sur le programme d’enseignement commun. Nous lui répondons qu’il n’est pas encore connu et que nous attendons un programme de notions. Il nous demande ce que cela pourrait bien être d’autre. Nous évoquons la possibilité d’un programme de « questions » qui serait immanquablement orienté doctrinalement. Il nous répond ne pas concevoir un enseignement de philosophie en lycée qui ne serait pas un programme de notions. Il nous interroge sur les épreuves et nous lui disons que, sauf dans la filière technologique, la dissertation et l’explication de texte telles qu’elles existent aujourd’hui sont adaptées aux besoins des élèves. Nous expliquons notre souhait de libérer l’étude de l’œuvre suivie des contraintes de la préparation de l’oral de contrôle du baccalauréat. Notre interlocuteur se montre très soucieux des lectures des élèves. Il apparaît très intéressé par le Prix lycéen du livre de philosophie.
Nous évoquons le caractère confus de l’enseignement de spécialité HLP, qui n’est ni philosophique ni littéraire, et qui ne correspond pas aux besoins des élèves. Nous insistons sur la situation particulière de la philosophie : l’interdisciplinarité ne peut pas être contemporaine de la découverte d’une discipline. M. Coulhon prend rapidement connaissance du programme et nous signale que l’important n’est pas son contenu, mais l’usage qu’en font les professeurs. Nous lui répondons que dans une République, les textes réglementaires importent. Nous faisons remarquer que l’enseignement doit être disciplinaire, littéraire et philosophique, pour être choisi par les élèves de Seconde puis confirmé par ceux de Première. Nous lui faisons valoir que la contrainte d’abandonner à la fin de la Première une des trois spécialités, met en concurrence les enseignements et les professeurs face à leurs propres élèves. Cela aura pour conséquence une altération générale de l’évaluation et, s’agissant de la spécialité HLP, une fragilisation particulière de cet enseignement, mal défini dans ses méthodes et sa finalité, à la différence des autres enseignements de spécialité. Notre interlocuteur comprend notre inquiétude de voir cette spécialité massivement abandonnée par les élèves en fin de Première.
Nous précisions que par-delà la substance du programme, c’est la structure de cette spécialité qui fait que, quelles que soient les compétences et les bonnes intentions de nos collègues membres du GEPP, il convient de concevoir deux programmes distincts, auxquels correspondraient deux épreuves distinctes.
Monsieur Coulhon fait cependant valoir les bienfaits d’une collaboration entre les disciplines. Il nous offre ainsi l’occasion de lever un malentendu, en nous appuyant sur les résultats de l’enquête menée l’été dernier auprès des collègues sur la réforme en cours: loin de fuir la collaboration entre les différents enseignements disciplinaires, les professeurs de philosophie de lycée la souhaitent et la pratiquent souvent, avec leurs collègues de lettres et d’autres disciplines. Leur contestation de l’enseignement de la spécialité HLP vient de ce que cet enseignement rend impossible un travail approprié aux élèves de lycée, la spécialité HLP n’étant elle-même ni littéraire ni philosophique et s’adressant à des élèves n’ayant jamais suivi un enseignement de philosophie. Le procédé consistant à « mettre la charrue avant les bœufs » ne nous apparaît pas de bonne méthode pédagogique, et l’absence de dialogue et la précipitation qui ont présidé aux simulacres de « consultations » se révèlent aujourd’hui préjudiciables.
M. Coulhon prend bonne note de toutes nos remarques, observe que nos positions ne sont pas corporatistes, mais qu’elles trouvent leur raison d’être dans les besoins des élèves. Il nous informe qu’il répercutera le contenu de notre discussion auprès du cabinet du ministre de l’Éducation nationale.
Nous tenons enfin à aborder la situation de l’enseignement de la philosophie dans les séries technologiques. Nous présentons à notre interlocuteur l’impérieuse nécessité du dédoublement d’au moins une heure de cours et montrons l’enjeu démocratique et républicain de cet enseignement. M. Coulhon nous répond que ce sujet ne relève pas de la réforme, mais a reconnu qu’il y avait en effet là un enjeu majeur.
Après une heure quarante d’échanges très libres, ayant permis d’aborder précisément et sans esquive les principales questions posées par la réforme à l’enseignement de la philosophie, nous remercions vivement M. Coulhon pour sa disponibilité et la franche cordialité de notre entretien et remettons deux exemplaires du hors-série Entrer dans le métier, un pour notre hôte et un second pour le Président de la République.
Compte rendu rédigé par Alain Champseix, Nicolas Franck et Pierre Hayat.