Présents : Jean-François Balaudé (doyen du groupe philosophie de l’IGÉSR) ; Emmanuelle Carlin (chargée du Prix lycéen du livre de philosophie et présidente de la régionale francilienne de l’Appep) ; Cécile Laloux (conseillère pédagogie de la ministre) ; Marie Perret (ancienne présidente de l’Appep) ; Vincent Renault (président de l’Appep).
Nous exposons à Cécile Laloux les raisons de cette demande d’audience, moins d’un an après celle du 17 octobre 2023. Nous étant approprié le cadre de la mission « choc des savoirs », comme cela nous avait été alors recommandé, pour décliner les besoins des professeurs de philosophie et les propositions de l’association, nous n’avons observé aucune évolution concrète. Il nous faut revenir à plusieurs questions cruciales, dont certaines appellent des réponses urgentes en préparation de l’année à venir.
L’objet de cette rencontre est également de remettre à la conseillère le rapport de synthèse de l’enquête de l’Appep sur l’année 2022-2023 et le baccalauréat 2023. Plus de 10 % des professeurs en activité ont répondu à cette consultation dès lors hautement représentative. S’y confirme un désarroi des professeurs souvent surchargés d’élèves, désarroi qui ne peut être réduit à un malaise diffus : plusieurs raisons se dégagent qu’il est possible de pointer. Elles concernent la place faite à la philosophie dans l’architecture du lycée, les programmes et épreuves d’examen et les conditions d’enseignement dans les établissements. Nous n’aborderons pas les inquiétudes très vives sur le sens de la profession que l’actuel projet de réforme du recrutement renforce, expliquons-nous, et nous nous en tiendrons à un certain nombre de points précis.
Le coefficient de la philosophie
Nous commençons par exposer et argumenter notre demande de relever le coefficient de la philosophie à 10 % du baccalauréat dans les filières générale et technologique, où il n’est respectivement que de 8 % et de 4 %, alors que le coefficient de chacune des spécialités y est de 16 et le coefficient de lettres de 10, et surtout que le grand oral pèse 10 % de l’examen en terminale générale et jusqu’à 14 % en terminale technologique.
Relever ce coefficient qui est vécu comme humiliant et qui signale la philosophie comme une matière négligeable améliorerait la cohérence interne de l’examen : il permettrait une symétrie avec les lettres ; il remédierait à l’anomalie d’un coefficient inférieur à celui d’une épreuve – le grand oral – dont l’évaluation se fait sur des bases fragiles et ne peut être fondé sur une formation spécifique ; l’épreuve de philosophie, enfin, est l’épreuve de maturité intellectuelle par excellence et mérite à ce titre de constituer un véritable pilier du baccalauréat, examen qui fait le bilan des apprentissages et des capacités d’aborder les études supérieures.
Relever ce coefficient ne serait-il pas aussi en cohérence avec l’esprit du « choc des savoirs » ? La philosophie, en effet, est la construction d’une pensée qui requiert de renforcer, de manière au plus haut point réfléchie, les qualités d’organisation de son propre discours, en particulier à l’écrit, au plus loin d’un simple exercice de persuasion. Cela implique un travail patient, étapes par étapes, sur toute l’année, travail pour lequel le coefficient est une incitation forte. Des collègues rapportent l’abandon par les élèves de la philosophie, au bénéfice d’un grand oral qui leur paraît moins coûteux. Cette modification du coefficient ne retirerait rien aux autres matières ; elle ne ferait que rationaliser la répartition des points consacrés aux épreuves terminales, hors contrôle continu.
Cécile Laloux répond que la ministre est attentive au désarroi des professeurs de philosophie et cherche des pistes pour améliorer les conditions de l’enseignement dans toutes les disciplines. Elle est d’ailleurs consciente du manque de reconnaissance dont souffre la philosophie, de la moindre perception de notre discipline de la part des élèves, mais aussi de la part d’autres professeurs et de personnels non enseignants.
Elle souligne en revanche qu’il n’est nullement aisé de toucher au coefficient : cela impliquerait d’en revoir l’ensemble, et tout particulièrement celui du grand oral dont il faut garder à l’esprit, remarque-t-elle, qu’il fut un aspect phare des réformes Blanquer. Y toucher serait un geste lourd de signification.
La conseillère nous annonce néanmoins que le ministère envisage d’ouvrir une réflexion sur ce même grand oral pour en questionner les attendus, les contenus et le déroulement. Cette réflexion pourrait avoir un effet sur son coefficient. Elle précise qu’il ne faut entendre en tout cela aucune prise d’engagement.
Jean-François Balaudé partage nos préoccupations sur le désarroi des professeurs de philosophie et appuie notre demande de valorisation d’un coefficient dont l’investissement des élèves est tributaire. Il évoque la piste envisagée par son prédécesseur au doyenné de prendre sur les points dévolus à la spécialité abandonnée en fin de première.
La spécialité « Humanités, littérature et philosophie »
Passant au thème des programmes et des épreuves, nous abordons la spécialité « Humanités, littérature et philosophie », qui concentre les nœuds. Elle ne compense pas la disparition de la filière littéraire. Dès la classe de première, élèves et professeurs doivent faire leur chemin dans un programme aux attendus confus, aux rubriques alambiquées, aux recommandations foisonnantes et emmêlées. Pour l’examen en terminale, des exercices d’un type inusité en philosophie ont été imposés, ce qui sème la confusion dans l’esprit des élèves qui ont choisi cette spécialité et se voient contraints de se préparer, au total, à quatre sortes d’exercices pour la seule philosophie (deux types d’exercices en HLP, deux types d’exercices en tronc commun). Il s’agit enfin de la seule spécialité bi-disciplinaire, ce qui explique qu’un temps de concertation soit expressément requis par les textes officiels, bien que non intégré à l’horaire des professeurs.
L’Appep demande donc 1/ la transformation de l’épreuve finale de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » en épreuve unique d’explication ou commentaire de texte de quatre heures, soit de philosophie, soit de lettres, au choix du candidat ; 2/ une révision du programme de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie », dans le sens d’une simplification, d’une clarification, d’un allègement et d’un rapprochement du programme avec le programme de notions qui caractérise la philosophie en tronc commun ; 3/ l’intégration d’une heure de concertation hebdomadaire dans l’emploi du temps des professeurs de philosophie et de lettres chargés de cet enseignement.
Jean-François Balaudé, sollicité par Cécile Laloux pour donner de premiers éléments de réponse, rappelle qu’il n’a pas participé à l’élaboration du programme, bien qu’il suive avec intérêt la question, ayant trouvé dans les sessions de formation continue l’occasion d’admirer des travaux effectués en binômes. Il ne sous-estime pas pour autant la densité et la complexité de ce programme. Il observe que ce programme donne aux professeurs la liberté de puiser dans les textes de la tradition et de traiter par ce biais des questions philosophiques fondamentales. Il rappelle la mise à disposition de ressources pédagogiques et annonce que l’Inspection clarifiera prochainement les attendus des exercices, particulièrement en ce qui concerne la forme de l’ « essai ». Il reconnaît que si le choix du couplage avec les lettres paraît assez naturel, d’autres auraient été possibles, encore que sans doute plus difficiles à mettre en place. L’épreuve joue le jeu de la rencontre entre les deux disciplines. Le doyen entend les réserves à ce sujet, mais a le sentiment qu’on pourra progresser vers plus de simplifications.
Cécile Laloux rappelle que les deux derniers ministres – elle désigne nommément Gabriel Attal et Nicole Belloubet – ont fait le choix d’épargner le lycée général et technologique afin de préserver les équipes, de ne pas les « déstabiliser de nouveau » à la suite des dernières réformes, d’éviter de donner une impression de « zapping ». En ce qui concerne les programmes et l’épreuve d’HLP, elle demande au doyen de lui fournir prochainement des éléments d’analyse et des propositions afin d’éclairer le regard de la ministre. Répétant que le souci premier et déterminant est de préserver le lycée, elle précise que des évolutions auraient de toute façon un périmètre limité.
L’enseignement moral et civique
Nous revenons à la question de la dévolution des heures d’EMC. On pourrait s’attendre à ce que la philosophie trouve sa place dans l’enseignement moral et civique, dont les nouveaux programmes confirment, tout particulièrement en terminale, les nombreux croisements avec des questions essentielles de la philosophie : notions d’opinion publique, de société civile, d’éthique de la discussion, de légitimité. Or on en reste au quasi-monopole de fait dont jouit l’histoire-géographie. 22 % seulement des professeurs de philosophie étaient en charge de l’EMC en 2022-2023 (source : Appep, Rapport de l’enquête sur l’année 2022-2023 et sur la session 2023 du baccalauréat). L’Appep demande une injonction, par circulaire adressée aux chefs d’établissement, à mobiliser l’ensemble des disciplines pour l’enseignement moral et civique, en particulier la philosophie en terminale.
Mme Laloux nous annonce la publication imminente des nouveaux programmes. Elle nous rejoint sur l’intérêt qu’il y a à mobiliser les professeurs de philosophie dans le cadre de cet enseignement. La Dgesco accompagnera la publication des nouveaux programmes d’un ensemble de recommandations mentionnant explicitement la nécessité de mobiliser l’ensemble des disciplines, et en particulier la philosophie.
Dédoublement en terminale technologique
Nous abordons la question également cruciale du dédoublement d’au moins une des deux heures de philosophie en terminale technologique. En 2022-2023, 70 % des professeurs enseignant en classe technologique n’avaient pas bénéficié d’une heure dédoublée (source : Appep, Rapport de l’enquête, loc. cit.).
Cécile Laloux insiste sur le fait que les dédoublements relèvent de la marge d’autonomie des établissements et du pilotage des chefs d’établissement. Nous sommes donc renvoyés une fois de plus à la négociation locale avec ces derniers. Il n’y aura pas d’injonction venue du ministère : notre interlocutrice récuse d’ailleurs la pertinence de ce terme, reconnaissant toutefois que la situation est en partie insatisfaisante. Elle envisage de faire valoir auprès des chefs d’établissement l’intérêt qu’il y a à dédoubler la deuxième heure de philosophie, par le biais d’une recommandation ministérielle adressée aux recteurs. Elle met en avant la variété des situations selon les établissements.
Les devoirs sur table
Nous signalons les grandes difficultés que rencontre l’organisation de devoirs sur table, alors même que les recommandations de l’IGÉSR en requièrent trois par an au moins. Notre enquête établit qu’en 2022-2023, 41 % des professeurs n’avaient pas pu organiser de devoirs en temps limité. À Cécile Laloux qui s’étonne de ce chiffre nous exposons concrètement quels obstacles s’y opposent du fait des emplois du temps et combien cela requiert l’engagement du chef d’établissement.
Le doyen confirme notre propos et fait état de la disparité préoccupante des situations entre les lycées de centre-ville qui mettent en place des devoirs sur table réguliers et d’autres lycées dont les élèves ne découvrent que le jour de l’examen quelles en sont les conditions réelles. Il souligne que ces devoirs en temps limité sont d’autant plus nécessaires que les élèves peuvent être tentés de recourir à l’intelligence artificielle générative et aux ressources disponibles sur internet. Le doyen souhaite lui aussi une recommandation très forte aux chefs d’établissement.
Cécile Laloux répond qu’il y aura des recommandations précises. Elle note que si certains chefs d’établissement parviennent à organiser trois devoirs par an, c’est que cette recommandation n’a rien d’irréaliste.
La situation au Lycée Saint-Pierre de la Mer
Nous devons évoquer une situation, particulière mais significative et sans doute pas isolée : la violation, par le Lycée privé sous contrat Saint-Pierre de la Mer (Saint-Cyprien, Pyrénées-Orientales, Académie de Montpellier), de l’obligation légale que l’enseignement de la spécialité HLP soit partagé en parts égales entre un professeur de lettres et un professeur de philosophie.
À Cécile Laloux qui nous demande, de même qu’au doyen, des précisions, nous faisons référence à l’information à nous transmise qu’une raison en serait le contrat signé par la collègue de lettres avec l’établissement. Notre interlocutrice souhaitant savoir si cette situation dérogatoire est liée à une question de ressources humaines, Jean-François Balaudé informe que l’IA-IPR Adinel Bruzan doit lui communiquer dans les prochains jours les éléments qui devraient permettre de démêler cette situation, éléments que Cécile Laloux attend pour apporter une solution dans l’intérêt des élèves. Elle précise que ceux-ci sont en droit d’avoir deux professeurs, chacun expert dans sa discipline. Elle précise ne pas pouvoir intervenir directement, mais envisage d’évoquer la situation lors de sa prochaine rencontre avec le secrétaire général de l’Enseignement catholique.
Le Prix lycéen du livre de philosophie
Nous attirons enfin l’attention de Cécile Laloux sur le Prix lycéen du livre de philosophie, qui fêtera l’année prochaine son dixième anniversaire. Nous suggérons qu’il compte parmi les « actions éducatives » signalées et recommandées par la Direction générale de l’enseignement scolaire. Nous faisons valoir l’occasion offerte aux élèves d’entrer dans une philosophie véritablement vivante, partie prenante des grands débats contemporains, et cela de manière ajustée aux programmes. C’est également l’occasion d’exercer leur jugement sur la force argumentative d’un texte et de se former ainsi à un rapport responsable à la lecture. Emmanuelle Carlin souligne enfin un intérêt essentiel de ce Prix : faire découvrir aux élèves l’existence d’une recherche en philosophie.
Cécile Laloux se propose de transmettre notre souhait à la Dgesco dont elle rappelle qu’elle est extrêmement attentive aux actions qu’elle soutient. Nous rappelons que la participation au Prix figurait autrefois parmi les recommandations du ministère et que la première remise de prix a eu lieu dans ses locaux, en présence de la ministre d’alors. Nous ignorons pour quelle raison il n’a pas été maintenu parmi les recommandations ministérielles. La conseillère nous prie de lui adresser très prochainement un document synthétique exposant le principe, la méthode et les autres données essentielles relatives à ce dispositif.
Le doyen de l’Inspection générale de philosophie apporte son entier soutien à cette initiative qui n’a à ses yeux que des avantages, dont celui de répondre aux élèves inquiets de l’actualité de la philosophie.
La rencontre prend fin soudainement à 10 heures. Cécile Laloux, que nous remercions pour cet échange et qui nous propose de nous revoir en septembre, est mandée par la ministre.