Participaient à cette audience, qui s’est tenue le 5 juillet 2022
Pour le ministère : Thomas Leroux (conseiller aux affaires pédagogiques et aux savoirs fondamentaux)
Pour l’Appep : Marie Perret (présidente), Karine Cardinal (vice-présidente, chargée des relations avec les associations de professeurs spécialistes et les organisations syndicales), Vincent Renault (vice-président, chargé des CPGE)
Il était initialement prévu que nous soyons reçus le 21 juin. Cette date ayant été décalée à la demande du ministère, nous sommes reçus en ce jour de résultats du baccalauréat. Contrairement à ce qui était annoncé, Jean-Marc Huart, directeur de cabinet du Ministre, étant retenu par diverses urgences, n’a pu assister à cette audience. Notre seul interlocuteur aura été Thomas Leroux.
Une démoralisation inquiétante de la profession
Nous exposons les raisons qui ont motivé notre demande d’audience. Nous faisons part, d’abord, de la grande démoralisation de nos collègues, qui se confirme enquête après enquête : leurs services se sont fragmentés, les effectifs se sont alourdis, leur charge de correction a considérablement augmenté.
Nos collègues, en outre, constatent l’état de déstabilisation qui résulte de la réforme du Lycée : la structure « classe » n’existe plus ; de facto, les conseils de classes non plus ; l’introduction du contrôle continu fait peser sur les élèves une pression qui nuit à la sérénité du travail scolaire et dont l’un des principaux symptômes est le recours massif au plagiat et à la fraude. Le système des spécialités provoque une mise en concurrence des disciplines qui altère les rapports entre professeurs et élèves : nous nous transformons chaque année en sergents recruteurs pour persuader les élèves de seconde de choisir la spécialité que nous enseignons, dans l’espoir de la maintenir ouverte.
L’état de démoralisation de nos collègues est, aussi, en grande partie lié à la perte de la terminale littéraire. Celle-ci leur offrait la perspective d’un enseignement approfondi de la philosophie et d’un service moins lourd, qui leur donnait du temps pour préparer sereinement leurs cours.
Une épreuve sans enjeu
L’épreuve de philosophie a été vidée de son enjeu. Isolée à la fin de l’année scolaire, elle apparaît comme une sorte de folklore qui n’a plus grand sens pour les élèves, puisque 82% de leur baccalauréat sont déjà joués. Nous nous inquiétons, à ce propos, de l’absentéisme induit par le calendrier de l’année de terminale. Nous avons pu constater, cette année, une forte démobilisation des élèves après le passage de leurs épreuves de spécialité au mois de mai. Nous pensions que la perspective de l’épreuve de “grand oral” les remobiliserait, mais cela n’a pas du tout été le cas. Les élèves accordent peu de crédit à cette épreuve. Ils savent, en effet, avec quelle générosité elle est notée. Ils savent aussi qu’ils seront en grande partie évalués sur leur performance orale et accordent une importance moindre au contenu de leur exposé. Aucune heure n’étant dévolue à la préparation du “grand oral”, certains élèves utilisent les exposés déjà ficelés qu’ils peuvent trouver sur internet.
Nous informons notre interlocuteur que, forte de tous ces constats, l’Appep demande, avec la Conférence des associations de professeurs spécialistes, le retour à des épreuves nationales, terminales et anonymes pour toutes les matières. Il faudrait, au minimum, que les élèves passent leurs épreuves de spécialité en juin. Pour qu’ils aient le temps de préparer sérieusement l’épreuve de “grand oral” et pour qu’elle soit adossée aux trois spécialités, il serait préférable que les élèves la passent à la fin de l’année de première.
Thomas Leroux relativise nos constats en arguant du caractère exceptionnel de ces deux dernières années. Nous n’avons connu du Lycée réformé qu’une forme altérée par la pandémie. Pour la première fois cette année, le baccalauréat a pu avoir lieu dans les conditions prévues par la réforme, même si les épreuves de spécialité ont été reportées en mai. Le ministère sera, affirme-t-il, particulièrement attentif aux résultats du baccalauréat.
Le baccalauréat n’étant plus un enjeu institutionnel, nos collègues déplorent sa disparition de fait. Notre interlocuteur concède que l’enjeu de l’année de terminale est désormais « Parcoursup ». Il réagit à propos de l’affaire du redressement statistique des moyennes dont nous avons fait état dans un récent communiqué : le ministère entend faire toute la clarté possible sur ces pratiques et revenir à des procédures plus transparentes. Il s’agit, selon ses termes, de “remettre l’église au centre du village”.
Les menaces qui pèsent sur l’attractivité du métier
Nous disons notre inquiétude à propos de ce qui pourrait menacer l’attractivité de notre métier. Si les concours de philosophie restent très sélectifs, nos collègues sont de plus en plus nombreux à envisager des reconversions et nos jeunes collègues sont découragés par la perspective d’un métier devenu plus difficile et plus pénible.
Nous faisons valoir, par ailleurs, que l’excellence du corps des professeurs de philosophie est, à ce jour, garantie par le concours de l’agrégation et du CAPES. Ce dernier, cependant, a été fragilisé par la réforme de l’épreuve orale. En outre, le niveau académique des professeurs de philosophie doit beaucoup à la qualité des CPGE littéraires. Les professeurs de classe terminale savent d’expérience qu’une proportion importante de leurs anciens élèves qui se sont engagés dans des études de philosophie commencent par une, deux ou trois années de CPGE avant d’intégrer l’Université. Or l’Appep s’inquiète du sort réservé aux CPGE de façon générale et demande au ministère ce qu’il envisage pour garantir leur pérennité. Comparativement à d’autres disciplines, la philosophie est, en effet, particulièrement présente en classes préparatoires. Nous craignons la désaffection dont elles pourraient souffrir du fait du développement de formations locales qui les concurrencent directement (Cycles Pluridisciplinaires d’Etudes Supérieures, Parcours Préparatoires au Professorat des Ecoles).
Notre interlocuteur nous répond que les CPGE ne sont la cible d’aucune politique particulière du ministère.
Redéfinir le programme et l’épreuve d’HLP
Cette spécialité est, de fait, un échec, puisqu’elle est peu choisie et qu’elle est massivement abandonnée en fin de première. Sa pérennité, qui est tributaire des arbitrages locaux, est d’autant moins garantie que les chefs d’établissement dissuadent parfois les élèves de la choisir en première ou de la poursuivre en terminale. Nous expliquons que la disparition de la TL n’est pas compensée par HLP. La TL permettait un enseignement approfondi de la philosophie, qui était très profitable aux élèves, surtout à ceux qui cumulaient les difficultés scolaires : ils trouvaient, dans les huit heures hebdomadaires de philosophie, un cadre structurant, grâce auquel ils pouvaient progresser et, souvent, « raccrocher » à leur scolarité alors même qu’ils s’en étaient éloignés. La spécialité HLP ne produit pas cet effet structurant.
Les élèves, en outre, découvrent la philosophie en première sous la forme d’une spécialité avant même d’y être initiés en terminale. Surtout, ils la découvrent via un programme thématique qui, aux dires mêmes de ses auteurs, n’est pas un programme spécifiquement philosophique.
Nous transmettons à notre interlocuteur le compte rendu de la réunion organisée par l’Appep le 20 juin dernier sur HLP. Ce texte semble retenir son attention. Nous exposons nos demandes. Nous voulons deux programmes distincts pour HLP, avec, pour la philosophie, un programme de notions qui pourrait être en miroir avec les thèmes proposés par le programme de français. Nous savons d’expérience, en effet, qu’il est bien plus profitable aux élèves d’entrer dans la philosophie en s’interrogeant sur des notions qu’ils comprennent spontanément (comme la justice, la vérité, le bonheur, le travail, etc.) plutôt que par l’étude de thèmes historiquement situés et dont la maîtrise suppose une érudition inaccessible à la grande majorité d’entre eux. La spécialité « HLP » deviendrait ainsi une spécialité « LP », Littérature et Philosophie, laquelle serait plus claire et plus lisible pour tout le monde. Nous signalons que le terme « humanités » suscite en effet des incompréhensions de la part des élèves et des parents. Sa mention, de plus, laisse croire, à tort, que les humanités seraient l’apanage des professeurs de philosophie et de lettres.
Nous demandons aussi une redéfinition de l’épreuve d’HLP. Sous sa forme actuelle, elle est en effet boiteuse et disperse les élèves. Il faudrait un seul sujet à traiter en quatre heures. L’épreuve doit proposer l’explication critique d’un texte littéraire ou philosophique, qui serait tiré au sort ou bien laissé au libre choix des candidats. Cette solution, que l’on peut aisément envisager pour la session 2023, présente l’avantage de simplifier l’épreuve et de la rendre cohérente avec les épreuves écrites de français et de philosophie.
Notre interlocuteur est conscient de la faible attractivité d’HLP. Il attend de la Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance des statistiques précises sur l’évolution des effectifs. Il nous informe que le comité de suivi de la réforme sera remis en place, sous une forme qui reste encore à définir. Il a d’ores et déjà pris date avec le Doyen du groupe philosophie de l’IGEN pour évoquer cette question. Il nous dissuade de nourrir un quelconque espoir sur un changement en profondeur de la spécialité. Nous demandons à être reçus par le comité de suivi de la réforme. Notre interlocuteur en prend bonne note et examinera notre demande.
Augmenter le coefficient de l’épreuve de philosophie
Nous demandons un rééquilibrage du coefficient affecté à l’épreuve de philosophie. Nous rappelons qu’il est seulement de 8 % dans la voie générale et de 4 % dans la voie technologique, alors qu’il représentait 18% de l’ancien bac L, 11% de l’ancien bac ES, 9% de l’ancien bac S et 5% de l’ancien bac technologique. Nous y voyons une marque de mépris. Nous ne comprenons pas que ce coefficient soit plus faible que celui de l’épreuve du “grand oral”, à laquelle les élèves se préparent bien moins sérieusement. Une réévaluation du coefficient serait un signe symboliquement important.
Notre interlocuteur considère que ce coefficient est suffisant. Il insiste sur l’importance que revêt l’épreuve de “grand oral” compte tenu des faibles performances des élèves français dans leur maîtrise de la parole orale. Nous lui faisons remarquer que l’épreuve, telle qu’elle est actuellement conçue, dessert en réalité l’oralité.
Le dédoublement de la deuxième heure dans la voie technologique
Nous rappelons notre demande constamment réitérée du dédoublement de la deuxième heure de philosophie dans la voie technologique. Aucune réponse ne nous est apportée sur ce point.
L’EMC
Nous évoquons la question de l’EMC. L’horaire dévolu à cet enseignement ne convient pas aux besoins de formation. Les élèves doivent bénéficier d’une séance hebdomadaire d’au moins une heure. Il faut aussi que l’enseignement en demi-groupes soit systématisé. Nous déplorons que l’EMC soit rarement attribué à d’autres disciplines que l’histoire-géographie. Il faudrait trouver le moyen de garantir une plus grande pluralité sans imposer pour autant un cadre rigide. Nous rappelons la proposition commune à l’Appep et à l’Apses : attribuer prioritairement les heures d’EMC aux professeurs de SES en seconde et aux professeurs de philosophie en terminale. Cette attribution prioritaire ne serait pas exclusive : elle n’empêcherait nullement d’autres disciplines de prendre en charge cet enseignement et ne remet pas en cause le principe du volontariat.
Notre interlocuteur nous demande si l’intérêt que les professeurs de philosophie accordent à l’EMC s’explique par la question des services. Nous répondons que nous souhaitons, avant tout, donner à la philosophie la place qui lui revient légitimement dans cet enseignement, et ce dans l’intérêt des élèves. Ils ont besoin d’une pluralité d’approches disciplinaires, mais aussi du type de travail de conceptualisation que la philosophie rend possible.
Nous remercions notre interlocuteur pour l’attention qu’il a manifestée à notre égard. Nous regrettons toutefois qu’aucune réponse précise n’ait été apportée à nos demandes. Nous espérons que cette situation soit seulement provisoire et liée, comme nous l’a assuré Thomas Leroux, au fait que le cabinet vient de se mettre en place.