Présents :
Pour le cabinet : Dominique Malroux, directeur adjoint de cabinet de la ministre de l’Éducation nationale ; Bérénice Hartmann, conseillère politique éducative et orientation auprès de la ministre.
Pour la Dgesco : Sandrine Bodin, sous-directrice de l’innovation, de la formation et des ressources.
Pour l’Appep : Vincent Renault, président de l’Appep ; Karine Cardinal, vice-présidente de l’Appep ; Nicolas Franck, membre du bureau national.
L’enseignement en filière technologique
La délégation de l’Appep est invitée à exposer les objets de préoccupation mentionnés dans la demande d’audience. Nous pointons en premier lieu l’enseignement en filière technologique. Nous soulignons qu’il concerne une majorité des professeurs. Il constitue souvent une partie importante de leur service, quelquefois la totalité. On sait la difficulté d’aborder cet enseignement avec sérénité. Cette difficulté peut être fortement amortie par le dédoublement de la 2e heure, comme en témoignent beaucoup de professeurs dans les enquêtes menées par l’Appep. Il rend possible un autre rythme, un autre rapport aux élèves. Or ce dédoublement est laissé à la discrétion des établissements et n’est accordé qu’à une minorité de professeurs. L’Appep demande que le dédoublement de la deuxième heure soit fixée comme principe au niveau national.
Dominique Malroux nous assure de sa compréhension. Il nous renvoie cependant au principe de l’autonomie des établissements. Il juge l’injonction une mauvaise méthode, propre à générer la crispation.
Nous soulignons que les horaires sont de manière générale fixés par les textes officiels et ne sont pas laissés à l’autonomie des établissements. Laisser les choses en l’état est le choix de ne rien faire pour la philosophie, d’adopter le point de vue du chef d’établissement au détriment des professeurs et des élèves. Nous rappelons la difficulté pour les professeurs de philosophie, toujours minoritaires dans les établissements, de faire prévaloir leurs besoins. Nous exprimons notre lassitude d’interlocuteurs qui, tout en reconnaissant l’ampleur de l’enjeu (à savoir le sens républicain d’un apprentissage de la réflexion philosophique pour tous), assurent ne rien pouvoir faire. Nous redisons que l’enseignement technologique est souvent le lieu de naissance d’un dégoût du métier. Nous sommes inquiets d’entendre de plus en plus de collègues dire que les élèves et eux-mêmes perdent leur temps. Un doute peut même s’installer sur l’intérêt d’un enseignement de la philosophie en filière technologique.
En réponse, Dominique Malroux revient à la nécessité de laisser les établissements arbitrer entre diverses demandes du même type, venues de diverses disciplines.
Le coefficient de l’épreuve de philosophie
Nous pointons en second lieu une cause structurelle majeure de la préoccupation et du désarroi des professeurs de philosophie : le coefficient de la philosophie au baccalauréat qui est vécu comme humiliant et doit être augmenté.
Ce coefficient est de 8 en terminale générale et de 4 en terminale technologique (où il est inférieur à l’EPS). Il doit être comparé avec celui des lettres (qui est de 10), avec celui des spécialités (de 16 pour chacun), et surtout avec celui du grand oral (de 10 en filière générale et de 14 en filière technologique). Ce coefficient n’est pas à la hauteur de l’investissement intellectuel et du travail dont les élèves doivent faire preuve tout au long de l’année afin d’entrer dans cette manière nouvelle pour la plupart et de s’en approprier la pratique par les exercices de dissertation et d’explication de texte. En comparaison du grand oral, ce coefficient signale la philosophie aux élèves et aux familles comme une discipline négligeable qu’il n’est pas nécessaire de préparer sérieusement, alors même que c’est un marqueur capital d’une année qui est celle de la maturité intellectuelle.
Nous précisons la proposition de l’Appep qui est d’élever ce coefficient à 10 dans les deux filières. Ce rééquilibrage rétablirait une symétrie avec le français. Une diminution du coefficient du grand oral de 10 à 8 en terminale générale et de 14 à 8 en terminale technologique n’en ferait peser le coût sur aucune discipline en particulier. Notre proposition pourrait s’inscrire dans le projet de restructuration de l’épreuve de grand oral dont l’existence nous a été communiquée en juin dernier par Cécile Laloux, conseillère pédagogie de Nicole Belloubet.
Dominique Malroux doute de l’argument d’une égalité de coefficient avec les lettres pour une discipline ne donnant lieu qu’à une seule épreuve et étudiée par tous au cours d’une seule année. Il met en avant le problème que soulèverait l’augmentation unilatérale d’une seule discipline.
Nous le ramenons à l’écart caricatural avec le grand oral qui ne fait pas l’objet d’une préparation sérieuse. Nous mettons en avant le caractère essentiel de la philosophie dans sa dimension de réflexivité récapitulative en fin d’études secondaires. Nous relativisons à ce titre le contre-argument de l’année unique, sans parvenir à faire évoluer la position du ministère.
Nous sommes par ailleurs informés d’une réflexion en cours au ministère sur une éventuelle épreuve de mathématiques.
Le grand oral
Dans le droit fil des observations relatives aux coefficients, nous désignons les défaillances du grand oral. Au-delà de la pensée réductrice de l’oralité qui sous-tend cette épreuve, son évaluation largement arbitraire est source de tensions vives, facteur de graves ruptures d’équité qui sont structurelles : grande diversité de l’échelle de notation utilisée, élaboration de l’oral avec l’aide de sites en ligne ou avec, voire par des experts amis des familles quand cela est possible, etc. Le sentiment d’injustice est largement répandu parmi les élèves ; il suscite un rapport malsain à l’examen.
Nous rappelons la proposition de l’Appep : si le grand oral devait être maintenu, il pourrait être passé en fin de première, avec un coefficient plus faible. On pourrait lui concevoir un rôle formateur pour la préparation de l’année de terminale. Notre position reste, de manière plus générale, que si cultiver l’oralité est souhaitable, c’est dans le cadre des enseignements disciplinaires.
Nos interlocuteurs apprennent de notre bouche le projet, à nous notifié par Cécile Laloux lors de notre audience du 5 juin, de faire un bilan du grand oral et d’en envisager certaines évolutions. Nos positions ont ainsi été prises en note sans autre commentaire.
Le calendrier du baccalauréat
À la suite des préoccupations liées à l’architecture du baccalauréat, nous répétons que les professeurs de philosophie sont affectés par la suppression, dans la note de service du 4 juillet 2024 relative à l’organisation du baccalauréat, de l’habituelle dispense de surveillance de toute épreuve, ainsi que par la diminution du nombre de jours de correction par rapport aux années précédentes. La fin d’année est extrêmement ardue pour les professeurs de philosophie : lourdeur des lots de copie étant donné le vivier restreint des correcteurs ; possibilité d’être mobilisés également pour l’épreuve de spécialité, pour le grand oral et bien sûr pour les délibérations. Par ailleurs, la variété du nombre de jours de correction par académie étonne, avec des dates-butoirs inutilement précoces.
Nous rappelons la demande de l’Appep de placer l’épreuve de philosophie dix jours avant celles de spécialités afin de rendre possible un travail de correction serein. Nous demandons la suppression des modifications défavorables introduites pour le baccalauréat 2025. Nous soulignons aussi la nécessité de recommander fortement aux organisateurs locaux des corrections que la priorité soit donnée à l’extension maximale du temps de correction.
Dominique Malroux et Sandrine Bodin nous informent que les nouvelles dispositions répondent à une demande des organisations syndicales.
Nous faisons valoir la différence énorme qu’il y a entre les charges de correction en philosophie et dans les autres disciplines. Nous faisons remarquer qu’une épreuve de philosophie avancée de dix jours se justifierait d’autant plus.
Dominique Malroux propose de se renseigner sur la disparité des jours de correction entre les académies.
La spécialité HLP
La spécialité « humanités, littératures et philosophie » est l’objet d’un programme à la fois surchargé et confus qui tend à réduire la philosophie à un type de littérature, exposons-nous. Mais le problème le plus crucial est celui des exercices. D’une part, la structure de l’épreuve en deux sous-épreuves de lettres et de philosophie empêche les élèves de produire une réflexion approfondie et invite à se satisfaire d’un travail superficiel. D’autre part, la nature des exercices fait elle-même problème, non seulement parce qu’ils restent mal définis, mais aussi parce que, différents des exercices de dissertation et d’explication de texte de la philosophie de tronc commun, ils font qu’un élève de terminale suivant la spécialité doit maîtriser quatre types d’exercices différents.
Nous disons notre souhait de savoir si l’IGÉSR s’est effectivement saisie de ces questions, comme il en avait été question lors de notre audience du 5 juin dernier avec Cécile Laloux, conseillère pédagogie de Nicole Belloubet, en présence du doyen du groupe philosophie. Nous signalons le projet de colloque de l’Appep sur la question, dans les murs de l’ENS à l’automne 2025. Nous rappelons les propositions de l’Appep sur les exercices et sur l’épreuve : qu’en philosophie les exercices soient du même type qu’en tronc commun (dissertation et explication de texte) ; que lors de l’épreuve, les candidats aient le choix entre un exercice de philosophie et un exercice de lettres, qui donneraient ainsi lieu à un travail en quatre heures.
Nous signalons la situation illégale de plusieurs établissements dans lesquels la spécialité HLP est dévolue à un unique enseignant de lettres, au mépris des textes officiels. Nous remettons à nos interlocuteurs le texte du communiqué publié le matin même. Nous faisons référence à la situation particulièrement choquante d’un professeur de l’académie de Montpellier contre qui l’IA-IPR, au mépris des textes et de son obligation de soutien et de conseil, a arbitré en faveur du choix de l’établissement. Nous demandons bien évidemment que tout soit fait pour le rétablissement du droit.
Dominique Malroux est particulièrement attentif à la situation des élèves face à la pluralité des exercices. Il nous invite à nous rapprocher directement de l’IGÉSR sur la question des programmes et des exercices. Le cabinet va lui-même s’en rapprocher.
Il tâchera de se renseigner plus avant sur la situation particulière de l’académie de Montpellier. Nous prévenons l’argument du problème de ressource qu’il risque d’entendre formuler de nouveau. Nous précisons la situation et soulignons combien la démarche de l’inspection générale a été insuffisante, et celle de l’inspection pédagogique régionale, choquante.
L’enseignement moral et civique
En ce qui concerne l’enseignement moral et civique, nous signalons d’abord une double cause de déception relative aux nouveaux programmes (qui doivent entrer en vigueur en septembre 2026 pour la terminale) : 1/ qu’aient disparu les correspondances des « notions abordées » et des « contenus d’enseignement » avec les programmes disciplinaires ; 2/ que la philosophie apparaisse à plusieurs reprises dans des formules contraires à sa signification éducative : « diversité des croyances et des opinions philosophiques » ; « options philosophiques personnelles » ; « opinions philosophiques et religieuses » ; « options philosophiques ou religieuses », formules qui traduisent un regard sur la philosophie diamétralement contraire à sa nature d’examen rationnel critique des représentations. Nous ajoutons nous être en revanche réjouis de cette phrase : « Au lycée, la diversité des disciplines contribuant à cette interdisciplinarité s’enrichit, notamment avec les sciences économiques et sociales et la philosophie. »
Nous sommes ainsi conduits à déplorer de nouveau le quasi-monopole de fait de l’histoire-géographie sur l’EMC. Nous rappelons la proposition de l’Appep : attribution préférentielle de l’EMC aux professeurs de philosophie en terminale, s’ils en font la demande. Dans le cas de la philosophie, ce serait probablement l’unique occasion, pour les élèves, de bénéficier d’un angle philosophique sur les contenus. Nous demandons que le ministère pèse fortement pour faire valoir l’intérêt d’un appel à une pluralité de disciplines et empêcher la réduction de l’EMC au statut d’appendice d’une discipline en particulier.
Le souci de la participation de toutes les disciplines est partagé par Dominique Malroux. Mais là encore, estime-t-il, ce serait une mauvaise méthode que de procéder à une injonction. Sandrine Bodin fait valoir l’effort vers la disciplinarité qui est fait dans les dispositifs prévus pour le collège : 18 heures annuelles dont d’autres professeurs que les historiens-géographes pourraient s’emparer pour des projets divers. Nous mettons en doute cette méthode de la simple suggestion qui, de toute évidence selon nous, va en sens inverse du but.
Le Prix lycéen
Nous présentons enfin le Prix lycéen du livre de philosophie dont nous remettons à nos interlocuteurs la fiche descriptive. Nous en rappelons la nature, le fonctionnement et les objectifs. Nous soulignons que les ouvrages sélectionnés mettent à la portée des débutants une philosophie ancrée dans les questions contemporaines, mobilisable dans le cadre des programmes de philosophie de tronc commun et d’HLP, mais dont peuvent s’emparer également les professeurs de lettres et les professeurs documentalistes. Nous soulignons enfin la possibilité qu’offre le Prix de mettre les élèves en relation avec la recherche, d’entretenir leur goût de la lecture et de consolider en eux une éthique de la discussion.
Nous formulons deux attentes : 1/ une inscription du dispositif parmi les actions éducatives mises en avant par le ministère, ce pour quoi l’ Appep est ouverte à un travail avec la Dgesco, l’objectif étant d’inciter les professeurs à s’emparer du dispositif dans le cadre de leur cours d’HLP ou de philosophie ; 2/ un soutien logistique : a/ pour obtenir de l’aide pour l’organisation des deux grandes rencontres que sont, fin mars, la rencontre avec les auteurs et, fin septembre, la remise du Prix (nous suggérons une remise du prix dans les locaux du ministère comme en 2016) ; b/ afin d’adopter la meilleure stratégie pour faire connaître le Prix (quel usage possible, par exemple, du Pass Culture ?).
Cette présentation du Prix et de nos demandes à son sujet sont accueillies favorablement. Nous sommes invités à prendre attache auprès de la Dgesco. La possibilité d’une subvention est évoquée. Il faudra retenir que les questions du Pass Culture, de l’éventuelle subvention et de l’inscription aux actions pédagogiques (que pourraient relayer les IA-IPR) relèvent de trois sous-directions différentes. Bérénice Hartmann nous invite à réfléchir à l’idée d’une remise du Prix dans le cadre des journées de Langres.
Dominique Malroux envisage de revenir vers nous après prise d’information sur un certain nombre de points. Les échanges, commencés à 16h05, prennent fin à 17h20. Les réponses généralement insatisfaisantes apportées à nos questions et propositions n’ont pas empêché la discussion de se dérouler avec grande cordialité.