Le 13 mars 2018, l’APPEP était auditionnée par le Conseil supérieur des programmes.
Participaient à cette audition :
CSP : Souâd Ayada (Présidente), David Bauduin, Roger-François Gauthier, Magali Rosa.
APPEP : Nicolas Franck, Marie Perret
ACIREPH : Frédéric Le Plaine, Serge Cospérec, Joël Dolbeaud
SO.P.PHI : Jean-Marie Frey, Guillaume Pigeard de Gurbert
La présidente du CSP expose les demandes du ministère telles qu’elles apparaissent dans la lettre de saisine qui lui a été adressée le 7 mars : le CSP doit rédiger pour mi-avril à l’attention du ministre une note d’analyse pour fixer le cadre de travail des groupes qui vont se mettre en place. Il proposera un cadrage conceptuel des nouveaux enseignements.
Il nous demande de l’aider à faire un bilan des programmes et des épreuves existants et de formuler des propositions pour l’avenir. Les nouveaux programmes de Première devront être rédigés en octobre prochain ; ceux de Terminale le seront en octobre 2019. Ils devraient donner lieu à une consultation, comme le prévoit la charte du CSP. Le CSP souhaite entendre les associations de professeurs de philosophie sur deux questions : la nature du programme de philosophie commun à toutes les terminales des séries générales, et celle du nouvel enseignement de spécialité.
Le programme du « socle commun »
Nous expliquons à nos interlocuteurs les raisons pour lesquelles l’APPEP se satisfait des programmes actuels. Nous nous reconnaissons dans la finalité de l’enseignement de la philosophie telle qu’elle y est définie : « favoriser l’accès de chaque élève à l’exercice réfléchi du jugement », et « lui offrir une culture philosophique initiale ». Comme nous l’avions dit dans la contribution adressée à la mission Mathiot, nous sommes fermement convaincus que seul un programme conçu à partir de notions peut satisfaire à ces deux exigences inséparables. Si elles sont choisies parmi les plus communes, les notions renvoient à l’expérience familière de chacun et donnent donc aux élèves l’occasion de réfléchir leur expérience, d’examiner d’un point de vue critique leurs représentations spontanées, d’élaborer problématiquement et avec plus de rigueur les questions sur lesquelles l’opinion se divise légitimement. Les notions encouragent à une élaboration conceptuelle précise qui emprunte largement à la pensée des philosophes, mais elles le font sans entraîner vers une histoire de la philosophie qui serait enseignée pour elle-même. Les notions offrent par conséquent la garantie d’un programme qui ne suppose aucune orientation doctrinale et qui permet aux élèves de découvrir la liberté de la recherche intellectuelle en même temps que la rigueur qu’elle exige.
Nous sommes hostiles à un programme qui déterminerait des problèmes arbitrairement, avant toute réflexion des élèves. Un problème mis en forme à l’avance apparaît toujours abstrait et vide. Il ne prend sens que si le professeur le constitue, avec les élèves, en partant des questions et des représentations les plus spontanées. Le déterminé est donc visé, et non donné. C’est par le travail d’analyse des notions que celles-ci se précisent et, en ce sens, se déterminent. Nous sommes favorables, toutefois, à ce que les notions soient mieux délimitées. Nous formulons, en ce sens, trois propositions :
- réduire drastiquement le nombre de notions, ainsi que le demandent massivement les professeurs de philosophie qui ont répondu aux enquêtes de l’APPEP sur le Baccalauréat ;
- inscrire les notions dans des champs qui ne soient pas eux-mêmes des notions pour définir une priorité à leur étude ;
- formuler les sujets du baccalauréat de sorte qu’ils interrogent les notions à partir du champ dans lequel elles s’inscrivent.
Par ailleurs, nous demandons que les nouveaux programmes intègrent des notions plus spécifiquement métaphysiques, celles-ci relevant, comme les autres, de la rationalité philosophique. Nous disons notre attachement aux exercices actuellement proposés au baccalauréat, la dissertation et l’explication de texte.
L’enseignement de la philosophie dans les séries technologiques
Nous rappelons avec insistance l’urgente nécessité du dédoublement dans ces séries.
Sur les épreuves, nous relayons la demande majoritaire qui s’exprime dans les enquêtes annuelles sur le Baccalauréat d’un changement. Nous expliquons que la méthode doit déterminer le contenu : les professeurs de philosophie doivent être consultés avant leur modification. La réforme de l’épreuve de philosophie en série STHR est un contre-modèle. L’inadéquation des sujets zéro qui ont été proposés est la confirmation par l’absurde que la méthode qui consiste à imposer un changement n’est pas la bonne.
La philosophie comme enseignement de spécialité
Nous disons notre regret de voir la philosophie cantonnée à la seule spécialité « Humanités, Lettres et philosophie », alors que d’autres appariements auraient été souhaitables et utiles aux élèves. Nous expliquons les raisons pour lesquelles l’élaboration d’un programme de spécialité nous paraît particulièrement délicate, pour ne pas dire acrobatique. Il faut en effet tenir compte d’une quadruple articulation : tronc commun de philosophie/spécialité de Première, tronc commun de philosophie/spécialité en Terminale, progressivité entre le programme de spécialité de Première et celui de Terminale, tronc commun de Lettres/spécialité.
Nous ne sommes pas hostiles à un programme commun aux Lettres et à la philosophie : nous avons commencé à élaborer une proposition de programme avec l’APLettres (voir annexe). Mais nous exigeons que quatre conditions soient garanties :
- La spécialité « Humanités, Lettres et philosophie » doit être proposée dans tous les établissements scolaires. Il est inacceptable que rien ne prenne la suite de la série littéraire. La réforme ne doit pas marginaliser, mais renforcer l’enseignement des humanités et permettre aux élèves qui choisiront cette spécialité d’approfondir l’étude de la philosophie.
- Le volume horaire de l’enseignement de spécialité doit être réparti de manière égale entre les lettres et la philosophie : 2 h pour chaque discipline en Première, 3 h en Terminale. L’introduction d’un enseignement de philosophie en Première ne doit pas être une introduction à la philosophie, une vague initiation ou un saupoudrage.
- Les spécificités disciplinaires doivent être respectées. Pour être substantiel, cet enseignement de spécialité doit être conçu comme étant bi-disciplinaire : il doit tenir compte des spécificités disciplinaires, d’approches et de méthodes.
- L’épreuve de spécialité doit être divisée en deux exercices bien distincts, un exercice littéraire et un exercice philosophique donnant lieu à une correction séparée.
Nos interlocuteurs nous informent que la question de savoir quelles disciplines prendront en charge la spécialité « Humanités, lettres et philosophie » n’est pas tranchée. Les Lettres classiques pourraient aussi y figurer. De même, la répartition horaire n’est pas encore décidée. Ils considèrent, par ailleurs, que l’épreuve de spécialité doit être « intégrée », conformément à la volonté ministérielle de simplifier le baccalauréat et de réduire drastiquement le nombre d’épreuves. Sauf à tirer au sort les sujets/les disciplines évaluées à chaque session, il faudra se résoudre à ce que les candidats traitent un seul sujet, et que les copies soient corrigées indifféremment par des professeurs de Lettres ou de philosophie. Nous répondons que ces conditions ne sont pas acceptables : d’une part, la place de la philosophie dans cette spécialité serait considérablement réduite, ce qui entre en contradiction avec l’engagement que le ministre avait pris en décembre dernier, lorsqu’il nous avait assurés que la philosophie ne serait pas affaiblie par la réforme, et qu’elle serait même renforcée. D’autre part, une épreuve et une correction indifférenciées ne respecteraient pas la spécificité des disciplines et rendraient la correction impossible. Nous y voyons le risque d’introduire la bivalence. Ce dispositif entre en contradiction avec la volonté affichée par le ministère de renforcer le caractère disciplinaire de l’enseignement.
L’EMC
Nous souhaitons que cet enseignement soit confié, en Terminale, aux professeurs de philosophie qui le demandent. Nous sommes satisfaits de l’actuel programme de Terminale, qui prolonge le programme de philosophie. Nos interlocuteurs nous répondent que, ce programme semblant donner satisfaction, il ne sera sans doute pas modifié.
Les humanités scientifiques et numériques
Nous souhaitons que la philosophie soit partie prenante de cet enseignement, qui pourrait être l’occasion de ménager dans les programmes une place à l’épistémologie, dont la tradition, en France, est riche et vivace. Nos interlocuteurs nous répondent que, compte tenu de la disparition des mathématiques du tronc commun, d’une part, et de l’indétermination de la notion d’« humanités » dans l’intitulé de ce nouvel enseignement, d’autre part, son orientation sera très probablement scientifique.
Le CSP nous propose de lui adresser une contribution écrite avant la fin du mois de mars.
Après cette audience qui a duré près de deux heures trente, nous remercions nos interlocuteurs pour leur disponibilité et la qualité de leur écoute.
ANNEXE
Projet de programme pour la spécialité « Humanités, lettres, philosophie », conçu par l’APLettres et l’APPEP.
En Première :
1. L’expérience humaine.
Cette partie du programme serait constituée de thèmes de réflexion, étudiés de façon croisée par les professeurs de lettres et de philosophie. Exemple de thèmes : le jeu, le voyage, l’animal, le rire, l’aventure, l’amour, la transparence, la parole… Les quatre ou six thèmes proposés pourraient éventuellement être changés par moitié ou tiers chaque année.
2. Culture littéraire et philosophique.
Cette partie du programme serait constituée de repères thématiques structurants pour les études littéraires ou philosophiques. Ils pourraient être : vérité et fiction, l’écrit et l’oral, mythe et histoire, l’idée de nature, le progrès, l’utopie, le tragique, le comique…
L’épreuve : elle consisterait en l’explication de deux textes, un pour chaque discipline, assortis ou non de questions.
En Terminale, le programme serait centré sur deux œuvres, l’une philosophique, l’autre littéraire, choisies dans une même période. Le travail mené avec les élèves consisterait à les étudier dans leur totalité en les inscrivant dans leur contexte et en articulant cette étude avec un ou, peut-être, deux thèmes. Cela permettrait de traiter de l’apparition des idées, des formes, des débats intellectuels d’une époque, de montrer comment des œuvres s’inscrivent dans cette époque, la façonnent et la dépassent.
Les œuvres proposées seraient renouvelées chaque année.
L’épreuve consisterait en questions sur chaque œuvre étudiée pendant l’année, en rapport avec son contexte et le thème retenu.
Compte rendu rédigé par Marie Perret, avec Nicolas Franck.