Justifier par quelques slogans une entreprise générale de déstabilisation du lycée et du baccalauréat, empêcher toute discussion par un calendrier d’application-éclair laissant les agents dans la sidération, détourner l’attention du public du chaos ainsi créé à l’aide d’une communication devenue sa préoccupation majeure : telle est la gouvernance dans laquelle le ministre semble avoir voulu passer maître, s’aidant du prétexte commode de la crise sanitaire.
Dans les semaines qui viennent, toutefois, le prétendu « grand oral » et un simulacre d’épreuve de philosophie pourraient faire que cette longue mascarade s’achève de manière désastreuse.
Rappelons quelques faits. Alors que la crise sanitaire a conduit le ministère à ramener au contrôle continu la plupart des épreuves d’un baccalauréat fortement réduit, il a cependant décidé de maintenir les deux épreuves dites « universelles » que sont la philosophie et le « grand oral ».
L’Appep n’a jamais été dupe de la prétendue volonté ministérielle de sanctuariser la philosophie, dont la part dans le baccalauréat a été réduite et que la réforme du lycée met dans une situation absurde, avec une spécialité HLP qui fait précéder l’année d’initiation d’une année de spécialisation. L’Appep sait également que le maintien d’une épreuve de philosophie le 17 juin sert tout au plus à justifier le maintien concomitant de l’épreuve-phare de la réforme, le « grand oral » dont elle a dès juillet 2019 et à plusieurs reprises depuis exposé les déficiences, propices à discréditer la pratique de l’oralité plutôt qu’à en cultiver utilement les ressources.
Mais les choses n’en sont pas restées là : en réponse à une demande lycéenne d’annuler un « grand oral » qu’il a été impossible de préparer sérieusement et de ramener la philosophie elle aussi au contrôle continu, le ministère a pris une décision extrêmement nuisible à la philosophie, à savoir que le jury ne tiendrait compte de sa note que si elle était supérieure au contrôle continu.
Face à cette instrumentalisation de la philosophie qui va jusqu’à faire de l’épreuve un épisode grotesque et à rendre son évaluation équitable quasiment impossible, l’Appep en a demandé l’annulation le 9 mai dernier.
Qu’on imagine en effet les quelque 550 000 candidats au baccalauréat général ou technologique contraints de faire acte de présence le matin du 17 juin 2021 dans leur salle d’examen. L’écrasante majorité d’entre eux sauront que l’ensemble de leurs notes de contrôle continu rend superflu de réussir cette épreuve. Comment s’attendre à ce qu’ils composent une dissertation ou une explication de texte en donnant le meilleur d’eux-mêmes ? Comment éviter que leur idée des exercices qu’ils ont préparés ne pâtisse d’une épreuve supposée solennelle et de toute évidence si vide d’enjeu ? Comment éviter aussi que leur estime d’eux-mêmes comme apprentis-philosophes n’en soit entachée, alors qu’ils auront probablement peu révisé leur cours ? Comment assurer par ailleurs qu’ils ne se sentiront pas légitimes à manifester leur révolte face à l’absurdité de la situation ?
Quant aux candidats plus fragiles, qui auraient un besoin impérieux de réussir cette épreuve, il leur faudra de solides facultés de concentration et une grande motivation pour produire un écrit pour lequel ils auront probablement manifesté de médiocres dispositions au cours de l’année.
Les correcteurs de l’épreuve se trouveront ainsi face à des copies dont ils ne pourront savoir, dès lors qu’elles seront médiocres, si cela tient à un faible investissement durant l’épreuve ou au cours de l’année, ou encore si cela tient aux difficultés des candidats à écrire dans une atmosphère propice à la qualité de la réflexion.
Les conditions de l’examen auront pu être différentes d’un lycée à l’autre, d’une salle à l’autre, créant une inégalité de traitement qui vient s’ajouter à la disparité des conditions de préparation du baccalauréat du fait de la variation des règles sanitaires au niveau local.
Comment, dès lors, évaluer équitablement des copies en temps ordinaire difficiles à distinguer sans l’acribie et le professionnalisme des enseignants, soutenus par la conscience de conditions stables d’examen ?
Et comment prétendre exiger un tel effort de la part de professeurs privés de leur droit de regard sur la note attribuée aux copies qu’ils auront corrigées, et désormais contraints à une correction par voie numérique, dont l’Appep a tout récemment détaillé l’illégitimité?
Dans cette situation inédite, l’Appep ne peut que partager le désarroi et la colère des professeurs de philosophie qu’on somme de prendre part à ces faux-semblants d’épreuves finales.
Au Ministre de l’Éducation nationale, l’Appep adresse une nouvelle fois sa demande d’annulation des prétendues épreuves de philosophie et de « grand oral ».
Aux corps d’inspection, l’Appep demande qu’ils manifestent leur soutien à la discipline et à ses enseignants en les protégeant d’éventuelles pressions dans le cadre de l’examen.
Aux élèves et à leurs organisations, l’Appep dit sa compréhension et son souci que leur apprentissage de la philosophie ne soit pas tourné en dérision.
À l’ensemble des professeurs de philosophie, l’Appep renouvelle son appel à la mobilisation et confirme qu’elle apportera son soutien à quiconque subira des pressions, des intimidations ou des sanctions, d’où qu’elles viennent.