Depuis sa nomination au ministère de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne a défini un certain nombre d’orientations qui ont en commun de contrecarrer les attentes et les analyses formulées, dans l’intérêt des élèves, par les associations disciplinaires représentatives des professeurs de collèges et de lycées, dont l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (Appep).
Ces orientations manifestent de manière générale un dédain inadmissible de la mission des professeurs.
C’est en premier lieu le cas en ce qui concerne les usages de l’intelligence artificielle générative. Cédant à un enthousiasme conformiste pour une IA dont l’usage serait a priori positif, la ministre a pris, sans concertation avec les enseignants, des mesures qui tournent le dos aux difficultés que ceux-ci rencontrent face à l’usage frauduleux de l’outil. Elle ne s’est pas privée de la facilité de présenter les professeurs comme des usagers retardataires, à la différence des élèves[1].
C’est également le cas avec l’évolution dessinée pour l’orientation des élèves à travers le processus Parcoursup. Au lieu d’entendre la multitude de témoignages qui disent l’importance excessive, écrasante, angoissante de la question de l’orientation, au lieu de chercher à rétablir un peu de sérénité en rendant la priorité à la formation de l’élève et à sa préparation à la vie professionnelle future par une solide instruction, la ministre veut étendre encore davantage l’ombre portée sur les années de collège et de lycée par l’obsession du métier futur[2].
C’est enfin et surtout le cas avec le projet de réforme du recrutement des professeurs, qui reprend les grandes lignes du projet de Nicole Belloubet dont l’Appep, à l’unisson avec de nombreuses associations de professeurs spécialistes, a déjà détaillé les travers[3], comme l’ont fait également les organisations syndicales[4].
Rappelons le vice principal de cette réforme qui consiste à recruter les professeurs dès la troisième année de licence : sous prétexte d’augmenter l’attractivité du métier, elle revient à négliger la qualité de la formation disciplinaire des candidats en déportant l’acquisition de connaissances pleinement spécialisées aux années postérieures au concours, dans des conditions où il est extrêmement peu crédible que des stagiaires déjà lauréats de concours et déjà pris par des tâches d’enseignement puissent les acquérir. Loin d’améliorer l’attractivité d’un métier qui pâtit avant tout de la stagnation des salaires et de conditions d’enseignement difficiles, cette réforme en écornerait un peu plus l’image en accréditant l’idée de professeurs peu spécialisés, alors même que leurs savoirs et savoir-faire disciplinaires sont la base de leur autorité.
La réforme telle qu’elle est envisagée ne va qu’en apparence dans le sens d’enseignants plus aptes à faire réussir leurs élèves. Elle oriente beaucoup plus vers des enseignants formés en dehors des cadres de la recherche universitaire, donc des lieux de développement de la connaissance. Cette réforme fragilisera un peu plus les professeurs et les vouera à être de simples exécutants des politiques ministérielles.
L’Appep appelle la ministre à une plus grande attention aux éclairages que les professeurs peuvent lui apporter. Elle tient à rappeler que l’école a pour principale mission d’instruire les élèves dans le cadre humain de la relation pédagogique, laquelle doit certes être encadrée, mais ne saurait être remplacée ou esquivée par les dispositifs gestionnaires dont la ministre trace les contours.
5 avril 2025
[1] Voir à ce sujet le communiqué de l’Appep « Prompter n’est pas penser » (21 février 2025). Voir également, outre la page du site du ministère consacrée à cette question, l’entretien accordé par Élisabeth Borne à Ouest-France le jeudi 6 février 2025.
[2] Voir l’interview donnée par la ministre à France Info le 17 mars 2025 :
[3] https://conferenceassociations.blogspot.com/
[4] Voir par exemple : https://www.snes.edu/article/reforme-de-la-formation-initiale-tribune-avec-les-associations-de-professeur-es-specialistes/