L’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (Appep) organise un colloque sur la spécialité « Humanités, Littérature et Philosophie » (HLP), enseignement bi-disciplinaire issu de la réforme du lycée entrée en vigueur à la rentrée scolaire 2019. Cette journée d’études aura lieu à Paris le samedi 15 novembre 2025 à l’École normale supérieure, 45 rue d’Ulm. Il sera possible d’y participer par visioconférence. Les actes en seront publiés dans la revue L’enseignement philosophique.
Il s’agira, après cinq ans de pratique, de dresser un état des lieux de la spécialité HLP, d’en analyser les effets sur l’enseignement des lettres et de la philosophie, d’en pointer les défaillances et d’en chercher les éventuelles perspectives d’amélioration.
L’Appep fait appel, dans ce but, aux enseignants de philosophie et de lettres, qu’ils enseignent dans les lycées ou à l’Université, afin de recueillir leurs témoignages, constats et analyses. Elle vise deux sortes de contributions.
- Elle fait appel à des bilans, réflexions ou propositions issus de la pratique de la spécialité HLP et qui pourront donner lieu à de courtes interventions ou entrer dans une synthèse générale présentée à l’occasion du colloque.
- Elle sollicite des propositions d’interventions plus amples, d’une demi-heure environ, et suivies de discussions. Ces contributions à la réflexion sur la spécialité HLP pourront se faire suivant trois axes dont les aspects sont décrits ci-après : 1) l’enseignement de la philosophie entre tronc commun et spécialité ; 2) la question des exercices ; 3) les enjeux de la bi-disciplinarité.
Ces diverses contributions doivent être adressées à l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public au plus tard le 30 juin 2025, en utilisant l’adresse suivante : contact@appep.net.
Objectifs généraux
Après plusieurs années de pratique, bien des collègues se sont largement approprié la spécialité HLP, que ce soit par pragmatisme ou par conviction. Certains apprécient la nouveauté des programmes et la plupart constatent que leurs élèves, notamment parce qu’ils choisissent cette spécialité, y manifestent une plus forte motivation. De nombreux professeurs de philosophie se réjouissent, lorsqu’ils enseignent en première, de moins ressentir le poids de l’examen et de disposer ainsi de plus de temps et de liberté. Enfin, le travail sur les textes invite à cultiver un art de penser familier aux enseignants de lettres et de philosophie et propice à transmettre les savoirs et réflexions que l’humanité a produite sur elle-même.
Toutefois, bien qu’elle introduise de la philosophie en première et qu’elle permette le maintien d’un cours de lettres en terminale, la spécialité HLP ne semble pas compenser, aux yeux d’une bonne partie des professeurs de lettres et de philosophie, la perte de la filière littéraire, de ses horaires disciplinaires et de sa cohérence générale. La spécialité HLP pose, en effet, divers problèmes très concrets : coordination et coopération difficiles de deux disciplines différentes ; épreuves du baccalauréat mal définies et mal accordées avec les épreuves de tronc commun dans chaque matière ; programme stimulant mais très vaste, auquel s’ajoute la préparation de l’épreuve du grand oral, à laquelle aucun horaire n’est dévolu.
Il est temps désormais de dresser un état des lieux, d’évaluer les apports réels de cette spécialité et de réfléchir aux manières de répondre aux difficultés constatées. Cela semble d’autant plus nécessaire que le jeu des coefficients[1] donne aux enseignements de spécialité une centralité qui n’est pas sans influence sur les attentes des élèves et sur les pratiques pédagogiques des professeurs de lettres ou de philosophie en tronc commun.
Le bilan critique de ce nouvel enseignement, s’il veut être constructif, doit passer par une collecte de témoignages, de retours d’expérience des collègues et un effort de recensement de leurs questions et de leurs attentes. Ce bilan gagnera aussi à se nourrir de la réflexion de tout chercheur, universitaire ou non, attaché à l’épistémologie des deux disciplines concernées, à l’histoire de leurs programmes et de leurs enseignements, aux exercices qu’elles proposent selon les attendus du système scolaire et universitaire, ainsi qu’aux enjeux intellectuels, culturels, sociaux, éthiques ou politiques qu’elles soulèvent.
Axe 1 : l’enseignement de la philosophie entre tronc commun et spécialité
Un colloque consacré à la spécialité HLP pourra se pencher, en premier lieu, sur certaines questions relatives à son articulation avec l’enseignement de la philosophie et des lettres comme disciplines de tronc commun. Des difficultés spécifiques à chaque discipline peuvent expliquer que la spécialité HLP soit encore accueillie souvent avec circonspection.
Les difficultés sont évidentes, en particulier, pour les professeurs de philosophie[2]. Il est tout d’abord difficile de parler de « spécialisation » en première HLP alors même que la philosophie n’est pas enseignée en seconde et qu’elle est conçue en terminale comme une « initiation ». L’entrée en scène de l’enseignement de philosophie de tronc commun en dernière année de lycée s’accorde mal avec un système de « spécialités » qui débute en première. En second lieu, la structure de la spécialité HLP, en couplant un enseignement de philosophie à un enseignement de lettres selon une périodisation historique, ne va pas sans déterminer la nature et le sens de l’enseignement philosophique. Elle accentue notamment un tropisme littéraire indéniable de la philosophie en France qui pourrait être interrogé.
Il en découle un certain nombre de questions. Peut-on continuer de parler de « spécialité » ? Si oui, pour quelles raisons ? Faudrait-il commencer l’enseignement philosophique de tronc commun dès la première, ou même prévoir une initiation à la philosophie en classe de seconde, afin d’éclairer le choix d’orientation des élèves et d’aligner le sort de la philosophie sur celui des autres disciplines ? Ou encore, faudrait-il revenir à quelque chose d’équivalent au dispositif antérieur, où la spécialisation en philosophie se faisait à travers le programme de la terminale littéraire, qui permettait d’approfondir l’enseignement philosophique davantage que dans les autres filières ?
Comment la spécialité HLP influence-t-elle, voire infléchit-elle l’enseignement de la philosophie en France ? Peut-on identifier les facteurs qui jouent ici (structure bi-disciplinaire, programme, conditions matérielles, coefficient, etc.) et sur quels aspects de cet enseignement ils jouent plus particulièrement ? Quel sens donner à ces évolutions ? S’agit-il de changements positifs qui apportent renouvellement et ouverture ? Ou bien avons-nous affaire à une dénaturation de l’enseignement philosophique ? Qu’en est-il enfin de l’enseignement des lettres ?
Axe 2 : la question des exercices
Les exercices proposés à l’examen du baccalauréat, les questions d’« essai » et d’« interprétation », constituent un second objet d’interrogation.
Ils restent tout d’abord mal définis. Qu’est-ce qu’un « essai », en particulier en philosophie ? En quoi se distingue-t-il de l’exercice de dissertation ? Dans diverses académies, les professeurs de philosophie se sont vu proposer des stages destinés à présenter l’essai, exercice qui leur est moins familier qu’aux professeurs de lettres ; ils n’en sont généralement pas sortis plus éclairés sur ce qu’ils peuvent attendre à l’examen. Comment distinguer, en second lieu, la « question d’interprétation » de la traditionnelle explication de texte qu’on demande aux mêmes élèves de réaliser en tronc commun, pour des textes de nature identique ? La présentation de ces épreuves sur Eduscol reste peu éclairante[3]. À la fois proches et différents des exercices enseignés en tronc commun et dans l’enseignement supérieur, les exercices d’interprétation et d’essai créent la confusion dans l’esprit des élèves en même temps qu’ils impliquent en terminale, pour les élèves spécialistes, de maîtriser quatre formes d’exercices écrits distincts pour la seule philosophie.
Cette confusion a pu se manifester au cours des dernières sessions du baccalauréat. Bien des critiques ont été portées sur les textes sélectionnés ainsi que sur les questions d’essai ou d’interprétation retenues par des concepteurs de sujets qui semblent, eux aussi, embarrassés quand il s’agit de donner forme concrète à ces nouveaux exercices en philosophie[4]. L’injustice créée par l’inégale difficulté des sujets proposés au cours des deux journées où se déroule l’épreuve ajoute à la confusion[5]. De surcroît, les deux heures prévues pour la partie philosophique comme pour la partie littéraire semblent bien trop courtes. Comment pourraient-elles permettre aux candidats de donner toute la mesure de leurs capacités, alors qu’ils doivent enchaîner deux travaux de natures différentes dans un délai de quatre heures ?
Comment définir les exercices ? Comment faire évoluer l’épreuve ? Faut-il à tout prix chercher une symétrie entre les exercices de philosophie et les exercices de lettres ? Comment rapprocher les exercices de spécialité de ceux qui se pratiquent – et ont fait leurs preuves – en lettres et en philosophie ? En quoi, inversement, de nouveaux exercices peuvent-ils faire évoluer les exercices canoniques et leur apporter une forme de ressourcement ?
Quels exercices seraient réellement formateurs en lettres et en philosophie ? Faut-il suivre le courant de l’harmonisation des pratiques ou accentuer la différenciation disciplinaire ? On remarquera qu’au bout de quatre ans, les formations en binômes proposées dans certaines académies, parfois en dehors des heures de cours, ainsi que les injonctions à évaluer en binôme la partie lettres et la partie philosophie des copies, n’ont pas changé fondamentalement les pratiques. Il faut se demander pourquoi.
Axe 3 : les enjeux de la bi-disciplinarité
Un troisième enjeu tient au sens et au rôle à donner à cet enseignement bi-disciplinaire. La notion même d’ « humanités » est ici engagée.
Notons que la bi-disciplinarité inhérente à la spécialité HLP vient en grande partie d’un implicite très ancien : la philosophie, comme discipline, poursuivait, après la classe de première, l’œuvre d’un cours de français moins stylistique ou linguistique qu’il ne l’est devenu, et qui prenait alors davantage la forme d’une histoire des idées et de leur expression.
Aussi la perplexité actuelle des collègues philosophes face à cette spécialité bi-disciplinaire s’inscrit-elle dans l’histoire longue des débats portant sur un enseignement dont on a souvent pointé le caractère trop littérarisé en France : qu’on songe à Durkheim dans son article sur « L’enseignement philosophique et l’agrégation de philosophie »[6] ou plus tard à des philosophes et commentateurs prônant une orientation plus proche de la « philosophie analytique »[7]. On peut ainsi situer la question d’HLP dans toute la réflexion sur l’enseignement de la philosophie, pris entre, d’une part, un tropisme scientifique avec l’idéal encore vivant du philosophe-mathématicien autrefois porté par Léon Brunschvicg, Jean Cavaillès ou Gaston Bachelard (bien avant la vogue analytique) et, d’autre part, une classification institutionnelle de la philosophie parmi les matières « littéraires ». Un colloque consacré à la spécialité HLP est l’occasion de s’interroger sur les enjeux de ce rapport ambigu de la philosophie à la littérature et de la littérature à la philosophie. Qu’on pense à Simone de Beauvoir, ainsi qu’à Bergson et à Sartre qui se sont vu l’un et l’autre attribuer le Prix Nobel de littérature. Mais aussi aux figures de Montaigne, de Pascal, de Voltaire ou de Diderot qui manifestent la porosité des frontières entre littérature et philosophe.
La réflexion sur cette spécialité bi-disciplinaire ne peut donc faire l’économie d’un dialogue entre professeurs de philosophie et professeurs de lettres et de la prise en considération des attentes, jugements et pratiques des uns et des autres, dans leurs convergences comme dans leurs différences. À cet égard, il y a lieu de se demander pourquoi aucune heure n’est spécifiquement dévolue, dans les emplois du temps, à la concertation entre les professeurs intervenant dans la spécialité HLP.
Comment constituer une double formation littéraire et philosophique cohérente et rigoureuse, en évitant toute confusion dissolvante ? Dans quelle direction faut-il infléchir les programmes pour permettre aux disciplines concernées de s’y épanouir de manière complémentaire sans se faire mutuellement obstacle ? Sur quelles bases, plus assurées que celles qui sont actuellement proposées, un rapprochement pourrait-il se faire ? La voie de l’histoire des idées, que la structure actuelle des programmes tend à imposer, ne doit-elle pas être écartée ? Un programme de notions, particulièrement adapté à l’apprentissage de la philosophie, ne pourrait-il pas constituer un socle pour les lettres aussi, à la manière des programmes des classes préparatoires scientifiques et commerciales ? Ou bien faudrait-il mieux distinguer les attendus des deux disciplines ? C’est là un troisième ensemble de questions, qui peuvent notamment être éclairées par des analyses relatives à l’histoire de l’enseignement des lettres et de la philosophie.
[1] À strictement parler, les spécialités pèsent au total pour 50 % dans l’examen du baccalauréat. Au coefficient 16 de chacune des deux spécialités, il faut ajouter le coefficient 10 du grand oral (qui leur est adossé), ainsi que le coefficient 8 de la spécialité étudiée en première seulement. Rappelons que les coefficients sont conçus, dans le baccalauréat issu des réformes Blanquer, comme des pourcentages.
[2] 85 % des professeurs qui ont répondu au questionnaire 2024 de l’Appep estiment que le format de l’épreuve proposée au baccalauréat est insatisfaisant et 55 % sont mécontents du programme. Seuls 37 % des professeurs qui ne sont pas en charge d’HLP souhaiteraient l’être. Voir Rapport de l’enquête sur l’enseignement de la philosophie au cours de l’année scolaire 2023-2024 et sur la session 2024 du baccalauréat, in L’enseignement philosophique, n°74-4, octobre-décembre 2024, p. 99 sq.
[3] https://eduscol.education.fr/document/24337/download (Attendus des épreuves – Éléments d’évaluation)
[4] https://eduscol.education.fr/document/52920/download (Dispositions en vigueur […] concernant la définition de l’épreuve terminale de l’enseignement de spécialité « humanités, littérature et philosophie »
[5] Quelques exemples concrets peuvent illustrer la difficulté de l’élaboration des épreuves. Un des sujets d’essai a, par exemple, posé problème lors de la session 2024 : « que gagne l’amour à être déclaré ? » Cette belle question était bien plus difficile, au jugement des correcteurs, que la question posée le jour précédent : « peut-on perdre son humanité ? », beaucoup plus aisée à rapporter au thème du programme « histoire et violence ». De manière peu surprenante, les copies ont été moins réussies. En 2022, la sélection du texte en littérature – poème d’un auteur très peu connu et au contenu assez limité de l’avis même de beaucoup de collègues de lettres – tranchait considérablement avec le texte, beaucoup plus difficile, de Paul Ricœur le jour précédent. Voir respectivement https://www.sujetdebac.fr/annales-pdf/2022/spe-humanites-litterature-philo-2022-metropole-1-sujet-officiel.pdf et https://www.sujetdebac.fr/annales-pdf/2022/spe-humanites-litterature-philo-2022-metropole-2-sujet-officiel.pdf
[6] Revue philosophique, 1895, n° 21, p. 121-147. Repris dans É. Durkheim, Textes. 3. Fonctions sociales et institutions, Paris, Minuit, 1975, p. 403-434. Disponible en ligne.
[7] La querelle des « continentaux » et des « analytiques », ou plutôt la dénonciation des premiers par les seconds remonte au moins au colloque fameux de 1962 à Royaumont sur « la philosophie analytique » qui a donné lieu à des débats houleux. Voir Cahiers de Royaumont. Philosophie IV. La philosophie analytique, Paris, Minuit, 1962.