L’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public tient à exprimer ses plus vives réserves à l’égard de la réforme du collège que le gouvernement tente actuellement d’imposer dans la précipitation et contre les professeurs.
La qualité et le niveau d’exigence de l’enseignement dispensé au lycée, et en particulier dans les classes terminales en philosophie, dépendent étroitement de la formation que les élèves reçoivent au collège. Les professeurs de philosophie constatent chaque année que les élèves ont de plus en plus de difficultés à exprimer leur pensée dans une langue claire et précise, à maîtriser les règles de la grammaire et de l’orthographe, à exposer leurs idées selon un ordre logique, à comprendre (et parfois même à lire) un texte simple. Certains élèves ne maîtrisent pas les savoirs élémentaires et la plupart ignorent les références littéraires, artistiques, historiques ou scientifiques que les professeurs de philosophie mobilisent lorsqu’ils traitent telle ou telle notion du programme. Or, loin de remédier à ces difficultés, la réforme du collège ne fera que les aggraver.
Alors que la réforme est supposée promouvoir l’excellence pour tous, l’objectif affiché par le décret n° 2015-544 du 19 mai 2015 est bien en deçà de celui que visait le Code de l’éducation. On passe en effet d’une formation qui permettait « d’acquérir au moins le socle commun de connaissances et de compétences » à un enseignement qui doit « permettre d’acquérir, au meilleur niveau de maîtrise possible, le socle commun ». Le niveau d’exigence est donc explicitement revu à la baisse. Comment pourrait-il, du reste, en être autrement, puisque la réforme du collège se solde par une perte d’heures d’enseignement disciplinaire ? La globalisation de certains enseignements ne garantit pas la régularité de leurs apprentissages. L’introduction des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) fait perdre aux disciplines des heures précieuses. Or, comment les élèves pourraient-ils tirer profit d’une approche interdisciplinaire s’ils n’ont pas acquis les méthodes, les concepts et les savoirs propres à chaque discipline ? Les « thèmes » des EPI, incertains en eux-mêmes et dans leur lien aux disciplines, poussent davantage à s’activer à des travaux sans ambition qu’à développer les vertus pédagogiques qu’on attend d’une véritable approche interdisciplinaire. Plutôt que de favoriser prématurément la complexité, ne devrait-on pas s’assurer de l’acquisition de l’élémentaire ?
L’APPEP s’inquiète également du sort que la réforme du collège réserve aux langues anciennes. Celles-ci cessent d’être des disciplines à part entière ; leur enseignement sera morcelé entre des « éléments » intégrés au cours de français, un « enseignement pratique interdisciplinaire » (Langues et culture de l’Antiquité) que tous les établissements ne proposeront pas, et, enfin, un hypothétique « enseignement de complément », qui dépend lui aussi d’un choix local et qui n’est financé que sur la marge d’autonomie laissée aux établissements. Plutôt que de marginaliser encore les Humanités sous le prétexte fallacieux que leur enseignement serait élitiste, il faudrait, au contraire, les transmettre à tous les élèves : la connaissance du grec ancien et du latin est en effet nécessaire à l’intelligence de la langue française, et la transmission des œuvres de l’Antiquité contribue à la formation de l’esprit.
L’APPEP, enfin, est en désaccord avec le principe qui préside à cette réforme, à savoir l’autonomie laissée aux établissements. Cette réforme abandonne 20 % du volume horaire aux décisions locales. Les chefs d’établissement, donc, auront désormais autorité pour déterminer les contenus d’enseignement. Un tel principe n’est pas acceptable, pour deux raisons au moins : d’une part, parce que les professeurs seront contraints, dans leur enseignement, par des décisions administratives locales (ils se verront, par exemple, imposer la participation à tel ou tel EPI) ; d’autre part, parce que les enseignements dispensés au collège varieront d’un établissement à l’autre. Les volumes horaires seront modulables ainsi que les contenus des enseignements complémentaires. L’APPEP considère par conséquent que cette réforme ne fera qu’accentuer les inégalités qu’elle est supposée combattre et aggraver l’hémorragie vers le privé. Loin d’être une source de rigidité, le principe d’un enseignement national est l’unique garantie, pour les élèves et leurs parents, de l’égalité républicaine.
Pour ces raisons, l’APPEP est signataire de la pétition intersyndicale Un autre Collège 2016 !
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Paris, le 30 mai 2015