L’APPEP exprime son inquiétude face aux recommandations formulées par Cyril Delhay dans son rapport intitulé Faire du grand oral un levier d’égalité des chances, remis au ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse le 19 juin 2019.
Certes, l’APPEP ne doute pas de la rigueur à laquelle une épreuve orale peut donner lieu, non seulement parce qu’un élève peut, tout autant qu’à l’écrit, y faire la preuve d’une maîtrise intelligente de ses connaissances et par là des facultés de raisonnement et d’analyse qu’il a acquises, mais aussi parce que l’oral constitue une situation spécifique qui rend particulièrement impérieuses certaines exigences inhérentes à tout propos rigoureux (clarté des énoncés, validité logique des inférences et pertinence des présupposés, par exemple).
En outre la simple expérience de l’enseignement, indépendamment des corroborations que le rapport cherche dans l’autorité des sciences cognitives, rend indéniable le fait que pour certains élèves, l’oral est un moyen de mieux manifester leurs dispositions à la rigueur du discours.
Enfin, on peut admettre que la place prise par l’expression orale dans l’enseignement reste insuffisante, ce qu’il ne faut cependant pas expliquer par une prétendue indifférence des enseignants à la pratique de l’oral, qu’ils savent évidemment précieuse et qu’ils cherchent généralement à encourager, mais plutôt par une politique ministérielle de longue durée laissant toujours diminuer la quotité moyenne des enseignements et croître le nombre d’élèves par classe.
Toutefois, l’APPEP ne peut que s’alarmer de la tendance du rapport à considérer l’appropriation de l’expression orale comme une fin en soi, alors que la parole, aussi importants que soient les entraînements nécessaires à son appropriation, ne fait véritablement sens, dans un système d’enseignement, que si elle exprime un contenu. Il serait donc souhaitable que l’épreuve de « grand oral » porte, de manière beaucoup plus nette que cela est préconisé par le rapport, sur des contenus disciplinaires, qu’il s’agisse d’enseignements communs ou de spécialité.
Cette confusion dans la détermination des finalités se manifeste particulièrement dans ses conséquences sur l’évaluation. L’APPEP s’étonne ainsi d’une épreuve susceptible d’être évaluée par les acteurs les plus divers, apparemment de manière indépendante de leur domaine de compétence, du moins pour une moitié des jurys. Elle déplore en cela une nouvelle manifestation de la tendance à considérer les professeurs comme des généralistes sans spécialité, au mépris de leur formation et de leur métier.
À tout le moins, l’évaluation d’une épreuve qui représente 10 % du baccalauréat devrait se faire selon des critères suffisamment consensuels et portant sur des aspects suffisamment repérables, ce qui est loin d’être le cas des items figurant dans le tableau de la page 25 du rapport, dont certains semblent bien difficiles à appliquer (« rester mobilisé, disponible et tonique », « coordination physique », « engagement vocal », « tempo juste »), d’autres assez contestables (« parole qui s’élabore au moment où elle se dit », « mobilisation des arguments les plus pertinents dans une approche différente ») et dont le pédantesque peut friser le non-sens (« regard qui écoute »).
Enfin, l’APPEP désapprouve la recommandation de consacrer tout un trimestre d’enseignement à la préparation de cette épreuve. Il est extrêmement regrettable que la volonté d’accroître la pratique de l’oral, qui pourrait et devrait servir l’objectif d’acquisition de savoirs, soit conçue d’une manière qui la défavorise. Cette manière de procéder est en réalité l’expression paradoxale et latente d’un mépris de l’expression orale, celle-ci étant implicitement considérée comme relevant avant tout de la persuasion et du spectacle. C’est ce qui semble ressortir d’un passage du rapport qui juge dangereuse la possibilité « que l’attention de l’évaluateur se focalise sur les seuls contenus, rendant ainsi l’épreuve orale redondante avec celle de l’écrit » (p. 14), passage qui donne à penser que l’écrit ne consisterait qu’en une récitation de connaissances, tandis que l’oral se réduirait essentiellement à de la mise en scène. On s’étonne que de tels propos, si étrangers à toute une tradition de l’art oratoire, puissent être si imprudemment soutenus par des spécialistes de ce domaine.
L’APPEP souhaite en somme que la question des rôles respectifs de l’oral et de l’écrit soit sérieusement traitée, notamment sans le préjugé caricatural de leur opposition, et toujours dans l’optique des finalités majeures de l’éducation nationale. Ainsi, soucieuse de voir l’oral réellement pris au sérieux, elle propose d’adosser beaucoup plus fermement cette épreuve aux contenus disciplinaires, par exemple en donnant à chaque élève la possibilité de compléter l’une de ses épreuves écrites finales par un oral.
Enfin l’APPEP, intéressée par tout ce qui peut améliorer l’appropriation des savoirs par les élèves, souhaite que les expérimentations relatives à la pratique de l’oral puissent se poursuivre, mais soient aussi l’objet d’évaluations véritables et indépendantes, ce qui ne semble pas être le cas du présent rapport qui se contente apparemment d’applaudir a priorià tout projet de développement de l’art oratoire à l’école. L’APPEP confirme, dans cette perspective, sa demande faite à la DGESCO qu’un bilan soit tiré de l’épreuve orale de DGEMC.
Paris, le 1er juillet 2019