L’APPEP a pris connaissance du rapport de Pierre Mathiot, Baccalauréat 2021, remis le 24 janvier au ministre de l’Éducation nationale, censé simplifier et remuscler le baccalauréat.
L’APPEP a déjà mis en évidence, avec d’autres associations de professeurs spécialistes, les risques structurels impliqués par les préconisations de ce rapport. Elle exprime également sa vive inquiétude pour ce qui touche directement à l’enseignement de la philosophie.
On aurait aimé se réjouir du « statut particulier » que le rapport assigne à la philosophie, qui sera enseignée seulement en Terminale, à tous les élèves, et qui sera la seule épreuve du baccalauréat que tous les candidats passeront le même jour. À ce titre, une place symbolique de choix lui est réservée.
L’importance accordée à la philosophie peut s’interpréter comme une reconnaissance du travail mené en classe avec les élèves, sur la base d’un programme de notions renvoyant à l’expérience familière de chacun. Si les sujets de philosophie peuvent « symboliser le baccalauréat », c’est qu’ils parlent à tout le monde.
C’est pourtant ce travail confiant et patient avec les élèves que le dispositif envisagé par le rapport rend impossible.
En effet, l’enseignement de la philosophie devra partager « 12 h environ » avec cinq autres matières. Comment, dans ces conditions envisager un travail sérieux ?
L’APPEP a eu l’occasion de montrer, notamment dans sa contribution adressée à la mission Mathiot, la nécessité d’un enseignement de quatre heures hebdomadaires.
Il est vrai que le rapport recommande pour les « élèves intéressés » un « volume horaire total permettant […] de se former de façon solide ». Mais le système compliqué de « majeures » et de « mineures » ne permet pas d’espérer que les élèves seront nombreux à opter en fin de Première pour la philosophie. Les professeurs de philosophie seront-ils condamnés à vanter leur marchandise auprès des élèves ? Que devront-ils promettre pour les « intéresser » ? au détriment de quelle discipline ? Dans les faits, peu d’établissements proposeront un enseignement de la philosophie en majeure ou en mineure.
La réforme qui se dessine à la lecture du rapport Mathiot semble livrer davantage encore les heures d’enseignement aux arbitrages locaux. Ainsi lenouvel enseignement « culture et démarche scientifique » dans l’« Unité générale » de Terminale, qui devrait permettre aux professeurs de philosophie d’aborder des questions épistémologiques avec les élèves, sera immanquablement utilisé comme variable d’ajustement pour compléter des services devenus encore plus complexes et hétérogènes à la faveur de la réforme. On peut faire la même analyse de la « mineure » « culture humaniste » proposée en Première, que devront se partager les professeurs de lettres, d’histoire-géographie et de philosophie.
La juxtaposition de trois « Unités » conduira à un enchevêtrement peu lisible des programmes et des épreuves d’examen. Elle rendra acrobatique une progression cohérente, puisque les professeurs pourront avoir simultanément, dans une même classe des élèves qui suivront différents cours de philosophie en se préparant à différentes épreuves. Ce seront peut-être même des professeurs différents qui enseigneront aux mêmes élèves dans chacune des « Unités ».
Cette réforme du lycée devrait pourtant être l’occasion de s’engager franchement dans la construction d’un pôle langages-arts-cultures, impliquant les sciences sociales, qui correspond à des filières de l’enseignement supérieur appelées à se développer.
L’APPEP rappelle qu’il y a en France plus de deux mille Terminales L, dans lesquelles les élèves suivent un enseignement de huit heures de philosophie. Cet horaire substantiel permet à ces élèves de s’approprier pleinement le travail de la réflexion philosophique. La perte de cet horaire représenterait en outre, pour les professeurs de philosophie, une dégradation considérable de leurs conditions de travail.
L’APPEP demande donc :
– qu’un horaire de quatre heures de philosophie soit garanti à chaque élève de classe terminale ;
– que le volume horaire dévolu à la philosophie ne soit pas soumis aux arbitrages locaux ;
– qu’un pôle arts-langages-cultures, structuré autour du français en Première et de la philosophie en Terminale soit effectivement proposé aux élèves ;
– que cette réforme du bac et du lycée soit l’occasion d’introduire au lycée un enseignement d’épistémologie et d’histoire des sciences.
C’est pourquoi l’APPEP condamne toute mise en œuvre précipitée d’une réforme qui se ferait sans réelle concertation.
Avec d’autres associations de professeurs spécialistes, elle demande un moratoire sur cette réforme du baccalauréat et du lycée. Elle appelle tous les enseignants à signer et faire signer la pétition de la Conférence des associations de professeurs spécialistes.