La fin d’un mythe
Depuis l’arrivée de Pap Ndiaye au ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, une chose a changé. Le ministère ne cherche plus à nous convaincre que les dernières réformes ont renforcé l’enseignement de la philosophie. Il semble avoir pris acte de l’état de démoralisation des professeurs et de la marginalisation de l’épreuve. Il n’agite plus le leurre de «l’épreuve universelle». À cet égard, il est symptomatique qu’Édouard Geffray, lors de son audition du 22 septembre par la Commission des affaires culturelles, ait omis de mentionner que les élèves continueront à préparer, après le mois de mars, l’épreuve de philosophie. On ne saurait mieux illustrer à quel point celle-ci a été vidée de son enjeu. Même le Directeur général de l’enseignement scolaire semble ne plus se souvenir de son existence.
Continuité de la politique
C’est bien là, sans doute, le seul changement. La politique mise en œuvre par le nouveau Ministre se caractérise, en effet, par une remarquable continuité. Rien ne semble pouvoir entamer la détermination de celui-ci à maintenir en l’état les réformes du Baccalauréat et du Lycée. Après trois mois d’hésitations, Pap Ndiaye a finalement décidé d’entériner cette ineptie que constitue la programmation d’épreuves « terminales » au mois de mars. « Parcoursup » aura eu raison de la demande du report des épreuves en juin, pourtant portée par la très grande majorité des organisations syndicales et des associations disciplinaires. Le Ministre a fait le choix de sacrifier la sérénité de l’enseignement et l’assiduité des élèves aux contraintes administratives et techniques d’une procédure informatique.
De manière générale, les constats, les préoccupations et les demandes des professeurs sont accueillis avec la même indifférence, voire avec le même mépris. La Conférence des associations de professeurs spécialistes a pu en faire l’amer constat lors de l’audience que lui a accordée le Cabinet du Ministre. Celui-ci a opposé une fin de non-recevoir à la demande d’une redéfinition de l’épreuve du « grand oral » et d’une dotation horaire dédiée à sa préparation. Il a répété que les commissions d’harmonisation académiques suffisaient à garantir l’égalité des candidats pour les matières évaluées en contrôle continu. Il a minimisé, enfin, l’ampleur de « l’harmonisation » statistique des notes des épreuves de spécialité, tout en admettant que 17 à 20% de celles-ci ont été redressées à l’insu des correcteurs, selon l’enquête qu’il a lui-même diligentée. Cette audience n’aura même pas permis de dissiper l’épais brouillard qui enveloppe la notation des épreuves terminales. La question de savoir si les notes des correcteurs peuvent être modifiées sur Santorin, après le verrouillage de leur lot, par une autre instance que le jury de Baccalauréat, est restée sans réponse. L’APPEP invite donc ses adhérents qui rencontreront les représentants des DEC et du SIEC à leur poser très clairement cette question. Les correcteurs qui seront convoqués à la session 2023 doivent savoir s’ils risquent, une fois encore, d’être dépossédés de leurs notes.
L’enseignement de la philosophie
Les réformes mises en œuvre par Jean-Michel Blanquer semblent désormais figées dans la glace. Mais l’APPEP travaille inlassablement à ce que les professeurs de philosophie soient entendus. Le 5 juillet dernier, elle a exposé devant le Cabinet du Ministre ses deux demandes relatives à la spécialité « Humanités, Littérature et Philosophie ». En premier lieu, l’épreuve doit être redéfinie. Les réunions d’entente qui se sont tenues en mai 2022 ont révélé à quel point celle-ci est mal conçue. Beaucoup de correcteurs ont dit ne pas comprendre la nature des exercices demandés aux candidats ni ce qu’ils sont en droit d’exiger d’eux. Si « interpréter » un texte n’est pas l’expliquer, peut-on attendre autre chose de la question d’interprétation qu’une vague paraphrase ? Si l’«essai» n’est pas une dissertation, peut-on en attendre autre chose que l’exposé informel d’opinions spontanées ? En l’état, l’épreuve est impossible à évaluer avec l’équité qu’exige un examen national. Aussi est-il urgent de la redéfinir en proposant aux candidats l’explication, en quatre heures, d’un texte philosophique ou littéraire. En second lieu, le programme doit être repensé. En imposant un cadrage historique à des thèmes aux contours flous, le programme actuel réussit à conjuguer indétermination et rigidité. Il favorise, de plus, la confusion entre les deux disciplines enseignées dans le cadre de cette spécialité. Professeurs et élèves gagneraient à ce qu’il y ait deux programmes séparés, avec, pour la philosophie, un programme de notions.
Le ministère admet que la spécialité « Humanités, Littérature et Philosophie » est un échec. Il ne peut faire autrement. Les chiffres sont, en effet, accablants : ce sont moins de 9% des élèves qui la suivent en classe terminale. Des professeurs constatent que, dans leur établissement, son maintien est menacé. Des chefs d’établissement font d’ores et déjà le choix d’envoyer leurs élèves dans un autre lycée pour qu’ils puissent y suivre les quatre ou les six heures d’enseignement de cette spécialité. Cet échec ne saurait être reproché aux professeurs qui en ont la charge. Ses raisons sont structurelles. Comme nous le disons depuis sa conception, cette spécialité hybride a été mal pensée. Aussi l’APPEP mettra-t-elle toute son énergie à convaincre le ministère d’accéder à ses deux demandes.
Les États généraux du Lycée : une contre-offensive nécessaire
L’enseignement de la philosophie subit les effets délétères de réformes qui ont privé le Baccalauréat de sa valeur certificative, déstabilisé le Lycée et plongé les professeurs dans un profond désarroi. À l’heure où le ministère cherche à les graver dans le marbre pour s’attaquer à d’autres cibles (le Collège et l’enseignement professionnel), il est impératif de dresser le bilan des dernières réformes. C’est pourquoi l’APPEP travaille d’arrache-pied au sein de la Conférence des associations des professeurs spécialistes à la constitution des États généraux du Lycée, qui réuniront professeurs, organisations syndicales et associations disciplinaires.
Ces États généraux seront une contre-offensive à l’initiative prise par le Président de la République de refonder l’École autour de concertations locales1. Sous couvert de renforcer l’autonomie des établissements, cette initiative accentue en réalité l’hétéronomie de l’institution scolaire. L’École se trouve ainsi soumise à des « contrats d’objectifs » qui varient d’un établissement à l’autre. Son centre de gravité devient un « projet qui lui est propre » et qui se conforme aux injonctions d’acteurs extérieurs2. À rebours de la logique de « territorialisation » voulue par le Président de la République, les États généraux permettront de réfléchir aux principes sur lesquels le Lycée doit se refonder et aux fins vers lesquelles il doit tendre.
Ces États généraux seront aussi une contre-offensive aux « auto-évaluations » des établissements initiées par la loi du 26 juillet 2019. À rebours de la logique managériale qui s’impose depuis des années à l’institution scolaire, ils seront l’occasion de parler du Lycée dans une autre langue que celle des gestionnaires.
À rebours de la logique de « caporalisation » des professeurs, ces États généraux doivent être aussi l’occasion de réfléchir aux conditions de leur nécessaire liberté pédagogique. Ils doivent, plus fondamentalement, permettre de redéfinir la nature de leur métier. Les professeurs de Lycée voient, depuis des années, leurs « missions » se multiplier. Au lieu de leur imposer de nouvelles tâches, souvent chronophages et vaines, il est urgent de réfléchir à la façon de lever les obstacles qui les empêchent d’instruire.
Comment penser des conditions de travail qui laissent aux professeurs le temps de lire, de se cultiver, de préparer sereinement leurs cours ? Faut-il conserver le système de spécialités ? Faut-il penser des séries renouvelées ? Comment préparer les lycéens aux études supérieures sans oblitérer l’enseignement général qu’ils doivent recevoir au Lycée ? Comment redonner au Baccalauréat sa valeur certificative ? Voilà quelques questions dont les professeurs, instruits des constats qu’ils peuvent faire, doivent s’emparer.
Dans ce contexte sinistre, les professeurs ne doivent pas céder à la résignation. C’est pourquoi l’APPEP appelle les professeurs de philosophie à se mobiliser dès à présent pour porter ce projet d’États généraux du Lycée, pour convaincre leurs collègues de leur nécessité et pour y participer. Il faut ouvrir le débat que le ministère entend clore.
Marie Perret, Présidente de l’APPEP
2 octobre 2022