L’adoption en 2013 de la loi ouvrant le droit au mariage aux personnes de même sexe a été précédée de riches débats parlementaires et de vives manifestations de rue soutenues par la hiérarchie de l’Église catholique. En pleine période de contestation du projet de loi, le metteur en scène Olivier Py estime qu’il s’agit là d’un débat qui ne concerne pas l’Église catholique ès qualités, nullement atteinte dans sa liberté à célébrer les mariages religieux. Proposant une autre interprétation catholique du « mariage pour tous » que celle soutenue par la hiérarchie de l’Église catholique, Olivier Py estime que la hiérarchie catholique n’aurait pas dû chercher à imposer son interprétation de la religion catholique à tous les citoyens, sur une question relevant des lois civiles.
Les catholiques qui s’opposent au mariage homosexuel et à l’homosexualité peuvent citer les deux sources vétéro et néo-testamentaires qui condamnent l’amour entre deux hommes (Genèse 19, 1-13 ; Lévitique 18, 22 ; Romains 1, 26-27 ; I Corinthiens 6, 9). Précisons simplement qu’un chrétien catholique se refuse à prendre l’Ancien Testament ou le Nouveau au pied de la lettre, il sait que l’ancienne loi doit être selon les mots du Christ accomplie, et non pas suivie pour les siècles des siècles. En d’autres termes, qu’un chrétien doit interpréter les écritures au ratio de l’époque de leur rédaction.
Aucun catéchisme catholique n’a jamais exigé que l’on suive à la lettre les lois de la Bible. Ceux qui veulent condamner l’homosexualité le font bien plus à partir d’un moralisme qui leur est propre que par respect de la loi biblique, ils passent évidemment sous silence l’amour de Saül pour David, l’amour de David et de Jonathan, et utilisent la Bible pour servir une homophobie non dissimulée.
Quant à Paul aux Romains, 1, 26-27, on pourra d’emblée constater qu’il ne définit pas les rapports sexuels entre hommes comme un péché, ni dans le cadre d’une interdiction stricte. Il parle d’infamie parce que ces rapports font partie des rites et des cultes du paganisme que, dans ce passage, il condamne absolument. Mais c’est l’idolâtrie qu’il condamne. L’idéal de vie paulinien reste chaste, et donc ne défend aucune pratique sexuelle, lesquelles pratiques sont souvent liées au paganisme, au culte de la fécondité notamment. Les catholiques se réclament de la protection de la famille, c’est leur droit. Mais objectons que les homosexuels ne veulent pas détruire le mariage puisqu’ils appellent à plus de mariage, au contraire, et à plus de famille, famille atypique mais famille tout de même. En quoi le fait que des homosexuels aient le droit au mariage détruirait-il le mariage pour les hétérosexuels, cela reste une imprécation peu argumentée.
Mais le plus grave est que les catholiques, dont un certain nombre de bonne foi, oublient combien les valeurs familiales sont peu catholiques. Catholique veut dire universel, la catholicité nous commande toujours de considérer notre frère comme frère dans le Christ et non pas dans les liens du sang ou de la nation. C’est le sens de la parabole. L’idéal chrétien chez Paul n’est pas un idéal de vie familiale, au contraire il est celui du saint qui fait de l’ensemble de l’humanité sa famille. Les valeurs familiales sont des valeurs de la société bourgeoise du XIXe, des valeurs de la société protestante anglo-saxonne mais certainement pas des valeurs chrétiennes. Le Christ n’a pas fondé de famille, les prêtres sont interdits de famille au nom de l’imitation du Christ. On disait aussi que l’abolition de la peine de mort (la même Église a attendu les années 1990 pour retirer sans restriction l’approbation de la peine de mort de son catéchisme) détruirait le système pénal et finalement toute la justice. Le pape est allé jusqu’à dire que la survie de l’humanité était menacée par le mariage gay, on rirait si cela n’était à pleurer. Comment une telle idée peut-elle être raisonnablement énoncée ? Le mariage homosexuel remettrait en cause la courbe démographique terrifiante qui nous a fait passer le seuil des 7 milliards ? Il y aurait plus d’homosexuels s’ils pouvaient s’aimer dans un cadre légal ? Et sous peu toute l’humanité pourrait être convertie à l’homosexualité et oublierait de se reproduire ? Fantasme délirant, homophobie a peine dissimulée, qui continue à éloigner du message de l’Église des milliers d’hommes et de femmes.
La question de l’adoption serait plus délicate ? Mais que nous ayons des parents ou un père et une mère n’est pas une question théologique. On peut et on doit se soucier du bonheur de l’enfant qui sera adopté, c’est ce que font les parents qui adoptent et qui désirent ces enfants qu’ils n’ont pas génétiquement conçus. Quel destin préfère-t-on pour ces milliers d’orphelins ? Un orphelinat à Mogadiscio ou deux parents du même sexe, aimants et attentifs ? Qui peut défendre qu’il y ait moins d’enfants du tiers-monde qui accèdent à nos soins, à notre éducation, à notre paix ? Pourquoi refuser à un enfant d’avoir deux parents quand on accepte légalement qu’il n’en ait qu’un ? Et enfin quel statut donner à tous ces enfants qui ont été élevés par deux parents du même sexe, doit-on nier leur existence, leur histoire, leur identité, sans même leur avoir demandé leur avis ?
On peine à comprendre comment et pourquoi l’Église veut intervenir dans un débat juridique laïque qui est celui de la République elle-même. On semble regretter la séparation de l’Église et de l’État. Imagine-t-on les musulmans demander l’interdiction du jambon au nom de leur foi ? Tout simplement parce que les évêques qui condamnent l’homosexualité amalgament facilement le péché et la faute, le péché ne concerne pas la République.
Enfin on est désespéré en tant que chrétien de voir depuis plus de vingt ans la frange la plus réactionnaire de l’Église prendre la parole pour des questions séculières et des questions de morale sexuelle. Quelle perte de temps quand il faudrait mettre toute son énergie à servir la parole du Christ. Quand les évêques parleront de la Trinité plus souvent que de la capote, de la beauté de l’eucharistie plus souvent que des homosexuels, de la résurrection plus que de la contraception ? Quand l’Église renoncera-t-elle à interférer dans les choses séculières pour ne plus être que la flamme de la parole vivante, pour être cette verticalité dans le temps dont nous avons si soif, pour être définitivement avec ceux qui souffrent et non pas avec ceux qui condamnent ?
Olivier PY, « Intolérable intolérance sexuelle de l’Église », Le Monde, 4 décembre 2012.
III.5 – L’affaire de la crèche Baby Loup
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