La « laïcité intériorisée » conceptualisée par l’historien Claude Nicolet articule deux visées : la liberté de conscience et la liberté de penser selon la raison (voir texte III.7). Dans les deux cas, l’individu citoyen est appelé à agir selon son libre arbitre. Mais entre ces deux exigences, la cohérence ne va pas de soi. La première renvoie à l’intériorité du sujet singulier tandis que la seconde vise l’émancipation par l’accès à l’universalité de la raison. Pourtant ces deux figures de la liberté ne sont pas incompatibles car l’une préserve des pièges d’une rationalisation technicienne tandis que l’autre délivre de l’enfermement dans le sentiment intérieur. Jaurès, déjà, avait identifié dans la laïcité « deux conquêtes décisives : la reconnaissance et l’affirmation du “droit de la personne humaine, indépendant de toute croyance, supérieur à toute formule”, et l’organisation de la “science méthodique, expérimentale et inductive” (“L’enseignement laïque” (1904), Laïcité et République sociale, Le Cherche midi, 2005, pp. 73-74). À travers l’exigence de “la liberté de penser”, comprise comme une exigence critique et une lutte contre sa propre paresse intellectuelle, Claude Nicolet retrouve l’engagement rationaliste de la philosophie : de liberté, de questionnement de soi et de dialogue. Si, en vertu de la loi de 1905, la République assure la liberté de conscience, il importe à chaque citoyen de ne pas aliéner par avance sa liberté (voir texte I.4).
La République ne se réduit pas à être une forme de gouvernement, elle implique une adhésion volontaire des individus à ce système. Une République n’est rien s’il n’y a pas de Républicains. En d’autres termes, la République ne peut se passer d’une Morale. Il convient de se rappeler à ce sujet le débat entre Jules Simon et Jules Ferry au sujet d’une référence à Dieu. On sait que, après la séparation, les Républicains discuteront de ce que doit être le “spirituel républicain”. Ce que le protestant Buisson appellera une “foi de substitution” : la foi laïque fondée sur la distinction entre liberté de conscience et liberté de penser. La première fonde la tolérance à l’égard de toutes les croyances ; elle remonte au XVIIIe siècle. Quant à la liberté de penser, elle n’est pas le fait de croire n’importe quoi, mais une certaine attitude par rapport aux croyances. Elle implique, sinon une méfiance à l’égard de toute transcendance, du moins le refus de toute aliénation de l’esprit face à tout dogme quel qu’il soit. Vous pouvez accepter Dieu au nom de la liberté de conscience, mais à condition de refuser toute organisation par derrière, susceptible de limiter la liberté absolue de penser par soi-même. Encore faut-il donner aux gens les moyens de penser librement.
Claude NICOLET, “L’idée républicaine, plus que la laïcité”, Le Supplément, n° 164, avril 1988, pp. 47-48.
III.9 – Deux visages inséparables de la liberté laïque
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