L’historien Michel Vovelle soutient que l’esprit rationnel et la valeur de la connaissance sont au cœur de l’idéal progressiste et humaniste de la laïcité. Partant de sa propre histoire de fils d’instituteurs de l’entre-deux-guerres, il réfléchit aux conditions d’une pédagogie laïque adaptée aux problèmes d’aujourd’hui, retrouvant à sa façon la maïeutique socratique et le doute de Descartes. La vocation de la laïcité scolaire contemporaine serait-elle philosophique ?
Je suis un pur produit de l’école laïque. J’appartiens à ces dynasties de promotions par le mérite dans lesquelles les grands-parents étaient petits artisans de village et ouvriers, les parents instituteurs, la troisième génération abordant le niveau des études supérieures. J’ai été élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, réalisant ce schéma de la promotion par le mérite qui peut paraître aujourd’hui dépassé. Cela relativise la portée des propos qui suivent.
Je crois très profondément que cette idéologie laïque dans laquelle nous avons été élevés, demeure une des grandes aventures émancipatrices, un des grands rêves, qui nous aient été transmis du siècle des Lumières au XIXe siècle, du XIXe siècle à aujourd’hui. C’est un des idéaux les plus exigeants, dans la mesure où il repose sur l’idée d’un savoir transmissible à tous. On plaisante toujours sur cette formule trinitaire d’une école « laïque, gratuite et obligatoire ». Dans cette mise en pratique de la laïcité, il y a la transmission d’un savoir pour tous comme première affirmation et l’idée sous-jacente que la transmission de ce savoir est bonne, qu’elle est un élément d’émancipation collective. Cette idéologie laïque s’inscrit ainsi dans le droit-fil de l’héritage des Lumières, qu’on peut déclarer dépassé, qu’on doit resituer dans son contexte historique mais qui, pour moi, est loin d’avoir dit son dernier mot. Deuxième présupposé : cette transmission est aussi celle des lumières de la raison, et par là même, la transmission de ce savoir est un élément d’amélioration individuelle et collective. Le troisième présupposé sur lequel on se crispe, en étriquant, me semble-t-il, cette mise en perspective globale que j’ai tenté de donner de l’idée laïque, c’est l’idée de la neutralité même dans les procédures de la transmission de ce savoir. Cette idée de neutralité, associée à celle de laïcité, me semble fondamentale, et je sais quelle vision précise et stricte en avaient mes parents instituteurs. Plutôt que de neutralité d’ailleurs, il faudrait parler de respect de l’autre. Ce respect de l’autre en la personne de l’enfant me semble un autre concept fondamental de l’idée de laïcité. (…)
Face à la campagne raciste, au resurgissement des périls antihumanistes, la laïcité ne doit pas signifier silence. C’est la responsabilité, et l’honneur du pédagogue, dans le cadre de cette pratique de la laïcité, que de savoir surmonter ce qui peut apparaître comme l’union des contraires : la politique de présence du pédagogue. C’est là que se pose le problème de la déontologie qui est liée pour moi à la pratique même de la pédagogie laïque. Il est beaucoup plus facile, finalement, de diffuser ou de répandre un discours homogène, par exemple confessionnel, ou de politique linéaire. La laïcité telle que je la vois accepte la difficulté. Non seulement la pratique et la continuité des valeurs laïques ne sont pas dépassées, mais elles répondent à une urgence et à une sollicitation plus que jamais extrêmement actuelles.
Ce qui me frappe, par exemple, dans notre univers, ce sont les offensives de l’irrationalité, la remise en cause de la valeur de l’explication rationnelle du monde. C’est un des traits actuels de nos sociétés de la crise et du doute. Il n’est pas question de revenir à des valeurs sécurisantes et trop limpides, il s’agit de promouvoir, par une pédagogie adaptée, une interrogation, donc le besoin d’une explication, fruit d’une maïeutique, d’un cheminement d’interrogations successives. C’est dans ce sens qu’une pédagogie laïque, adaptée aux problèmes de notre temps, est indispensable. Cela ne veut pas dire qu’elle soit détentrice de recettes éprouvées, transmises sans variations depuis la fin du siècle dernier. La laïcité se définit comme une recherche continuée, une pratique du doute, au sens cartésien du terme, qui s’associe à la notion de respect.
Michel VOVELLE, « Le partage laïque », dans Guy Gauthier, La laïcité en miroir, Entretiens, Edilig, 1985, pp. 23-25.
V.7 – La laïcité à la recherche de points d’équilibre
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