Au nom de l’Association des Professeurs de Philosophie de l’Enseignement Public, je suis très heureux de vous accueillir dans cette salle des conférences du Lycée Henri IV.
Avec Simon Perrier, président de l’APPEP et les membres du Bureau national de l’association, je me réjouis de voir que nous sommes si nombreux à être venus débattre, aujourd’hui, du futur « enseignement moral et civique » qui commencera d’être dispensé, à partir de la rentrée 2015 dans l’enseignement primaire et secondaire.
L’APPEP, attachée par toute son histoire et ses convictions au principe de laïcité, ne pouvait évidemment pas manquer d’apporter sa contribution à la réflexion sur ce futur enseignement qui devait initialement s’intituler, vous vous en souvenez sans doute, « enseignement de morale laïque ».
Mais notre association est également concernée par le projet d’enseignement moral et civique à trois autres titres.
D’abord, bien évidemment, parce que les professeurs de philosophie seront amenés, comme d’autres, à prendre leur part de cet enseignement. L’enseignement moral et civique ne sera en effet pas constitué en discipline séparée, mais les professeurs seront invités à tirer parti des programmes actuels, certains devant être revus, l’occasion de leçons morales et civiques. De ce point de vue, les professeurs de philosophie peuvent d’une certaine façon considérer qu’ils ont pris un peu d’avance et dispensent déjà des cours d’enseignement moral et civique. En effet, leur tâche consiste notamment, je cite les termes du programme de philosophie des classes terminales, à « favoriser l’accès de chaque élève à l’exercice réfléchi du jugement ». Leur travail recoupe les objectifs assignés par la loi à l’enseignement moral et civique, tels qu’ils apparaissent maintenant dans le Code de l’Éducation : « amener les élèves […] à se forger un sens critique et à adopter un comportement moral et réfléchi ». En somme, les professeurs de philosophie ne sont pas dépaysés.
Ensuite parce ce que se pose la question de la neutralité de l’enseignement. Il va de soi qu’un enseignement moral et civique ne peut être doctrinal et imposer une conception particulière de la vie bonne. Mais la neutralité ne peut consister en une abstention du jugement : le professeur ne peut se cantonner à arbitrer des débats dont il se contenterait de vérifier la validité logique des arguments. Comme le disait fortement Jaurès : la neutralité « serait comme une prime à la paresse de l’intelligence, un oreiller commode pour le sommeil de l’esprit. » Le contenu de cet enseignement doit donc mettre au jour, problématiquement, les principes sur lesquels l’école est fondée. Car l’idée d’école engage une certaine conception de l’homme, de ses droits et de ses devoirs. Les formuler explicitement ne peut que fortifier l’institution. Je crois que les professeurs de philosophie ont là un rôle à jouer et qu’ils doivent, contribuer, sur ce point aussi, à la formation des maîtres.
Enfin parce que l’APPEP est attachée à l’enseignement disciplinaire et à la transmission du savoir, seules conditions d’une émancipation véritable des esprits et de l’acquisition d’un « sens critique ». Dans cette perspective, l’introduction de l’enseignement moral et civique est un cruel mais utile révélateur : une école qui promeut le développement des compétences plutôt que la transmission du savoir, condamne cet enseignement à apparaître arbitraire et être, du même coup, sans efficace. S’instruire, c’est faire l’expérience d’une obéissance sans soumission et c’est réciproquement rendre possible l’exercice de l’autorité. Il y a une vertu morale de l’enseignement disciplinaire. Cette vertu est, au demeurant, soulignée par le rapport intitulé Morale laïque, pour un enseignement laïque de la morale, de Laurence Loeffel, Pierre Bergounioux et Rémy Schwartz remis en avril dernier à Vincent Peillon. Ce qui relève de la vie scolaire ne peut être envisagé indépendamment du rapport au savoir que l’enseignement disciplinaire institue. Je cite : « ces deux dimensions de la discipline sont indissociables. Les repenser ensemble est nécessaire pour redonner à l’autorité pédagogique et à la discipline scolaire un sens complet ». C’est là un beau chantier, auquel les professeurs de philosophie ne peuvent manquer d’apporter leur pierre.
Pour ouvrir le débat sur ces différentes questions, nous vous proposons de procéder en deux temps.
Nous nous intéresserons d’abord aux visées de cet enseignement moral et civique.
À cette fin, il est nécessaire, de partir du rapport d’avril dernier dont je parlais il y a un instant. Il dresse un tableau sans concession de l’état actuel de l’école, et relève une tendance à l’érosion des normes et du sens du collectif. Mais il ne se contente pas de ce constat. Il souligne les dégâts d’une pédagogie constructiviste, qui a conduit, notamment dans l’école primaire, à « centrer les objectifs sur l’individu », si bien que l’horizon de l’intérêt général a été perdu. Je remercie très vivement Laurence Loeffel, co-auteure du rapport dont il a été question, IG rattachée à la fois au groupe philosophie et au groupe de l’enseignement primaire (une position très buissonienne) d’avoir accepté de venir nous en présenter les grandes lignes.
L’enseignement envisagé dans le rapport remis au ministre veut notamment permettre une « remobilisation du principe de l’intérêt général » au sein des établissements scolaires. Autant dire qu’il serait vain de vouloir introduire un enseignement moral et civique sans se soucier de la vie scolaire. Nous sommes donc très heureux que M. Bisson-Vaivre, doyen du groupe Établissements et vie scolaire de l’Inspection générale, ait accepté de venir nourrir notre réflexion de son savoir et de son expérience.
Enfin, Catherine Kintzler, professeur émérite à l’Université de Lille 3, dont les travaux sur la laïcité sont bien connus de nous tous, nous proposera une vision sans doute plus critique des objectifs que cet enseignement moral et civique s’assigne à lui-même. Je la remercie chaleureusement pour sa présence parmi nous.
Après un premier débat et une courte pause, nous nous interrogerons sur le contenu possible de cet enseignement moral et civique, en prenant appui sur deux exemples.
Le premier est la tentative de réactiver une forme de « morale laïque » à la fin des années 1990. Ce furent les « Initiatives Citoyennes » promues par Ségolène Royal, alors ministre déléguée à l’enseignement scolaire, sur une proposition et sous le pilotage de Jean Baubérot, à qui je dis toute ma reconnaissance d’avoir accepté de venir nous en parler.
Le second est celui d’un enseignement possible de la loi du 15 mars 2004, loi (je cite son intitulé complet) « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles collèges et lycées publics. » Grand merci à Pierre Hayat de partager avec nous ses réflexions sur cet exemple décisif pour l’enseignement moral et civique.
Nicolas Franck, vice-président de l’APPEP