Communication de Claude Bisson-Vaivre à la journée d’échanges sur l’enseignement moral et civique du 13 novembre 2013.
J’ai souhaité intituler le propos « Vie scolaire et laïcité » et non l’inverse, parce que traitant de l’école, et de la laïcité dans l’école, je considère important de faire découvrir et de mettre en avant les outils dont l’école s’est dotée pour exercer ses missions présentées à l’article L111-1 du code de l’éducation (dispositions générales) et que l’article 41 de la loi de refondation pour l’école de la République a complété : L’école, notamment grâce à un enseignement moral et civique, fait acquérir aux élèves le respect de la personne, de ses origines et de ses différences, de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de la laïcité.
Vous l’avez d’ailleurs mis en introduction de votre colloque. Et comme Laurence Loeffel l’a souligné c’est bien de l’enseignement laïque de la morale dont il est question, donc du cadre, des conditions, des procédures et des postures pour cet enseignement.
Le système éducatif français bénéficie d’un outil très particulier, qui ne se rencontre pratiquement dans nul autre système éducatif de pays développés. Appelé maladroitement « vie scolaire » et autre chose qu’un lieu auquel le vocable est apparenté, cet outil constitue le cadre de la politique éducative d’établissement. Il est animé par des personnels qualifiés que sont les conseillers principaux d’éducation, aidés par des personnels aux statuts divers (assistants d’éducation, bénéficiaires de contrats aidés). Compte tenu de sa place et de son rôle, la vie scolaire est un élément structurel, facteur de la fonction pédagogique et éducative de l’établissement scolaire.
La vie scolaire ne peut plus être considérée comme un service pour y reléguer des élèves en rupture avec les règles de la classe, mais comme une structure active d’éducation, reposant sur les principes constitutionnels de l’école.
Le lien « vie scolaire » et « conseiller principal d’éducation » renvoie à une idée que je défends ardemment et que, finalement, personne ne semble contester pour l’instant – même si au cours de la consultation pour l’acte 2 de la vie lycéenne, des élèves considèrent l’établissement scolaire comme leur seconde maison et un lieu de vie –, c’est que l’établissement scolaire est avant tout un lieu où on apprend à vivre, où le jeune se prépare à une vie ultérieure de citoyen, dans un collectif organisé. L’établissement scolaire qui ne peut pas être la cité, mais une partie constitutive de celle-ci, sans doute une partie qui en assure la logistique portant sur les valeurs, sur les savoirs et sur les savoir-faire. Au fur et à mesure du temps et du cheminement des élèves dans leur scolarité, de leur avancement en âge qui les rapproche de l’adulte, sous l’effet des transformations sociales et sociétales, mais aussi technologiques, la problématique éducative se complexifie. Aujourd’hui, les élèves viennent à l’école avec la Cité attachée à leurs comportements. Aussi, l’école n’est-elle plus seulement une partie qui alimente la richesse de la Cité et, si elle en reçoit de plus en plus ses richesses, elle en supporte aussi ses travers. Autrement dit, l’école peut être soumise à la Cité, peut-être pervertie par elle sous certains aspects. Certains diront que c’est sans doute un tribut à payer à l’ouverture scolaire et à la massification, mais la cause ne doit pas en être recherchée dans une forme de dé-sanctuarisation qui en ferait perdre justement le cadre laïque.
Dans ces allers-retours, ce que nous appelons la « vie scolaire », à l’interface de l’établissement et de la Cité, a une pièce décisive à jouer et les CPE en sont les acteurs. Si, comme le rappelle Jean Baubérot, l’école publique constitue un « élément essentiel pour fonder la morale laïque », dans le second degré, la vie scolaire est une structure qui doit garantir le cadre laïque non seulement aux enseignements, mais plus largement aux apprentissages et à l’exercice des premières responsabilités des élèves. La lecture du référentiel des métiers du professorat et de l’éducation (arrêté du 1er juillet 2013) introduit dans les compétences du CPE : C 2. Garantir, en lien avec les autres personnels, le respect des règles de vie et de droit dans l’établissement… Contribuer à l’enseignement civique et moral de l’élève ainsi qu’à la qualité du cadre de vie et d’étude.
Finalement, on pourrait considérer que la « vie scolaire » est l’espace du temps scolaire où l’on transforme et où on met à l’épreuve les savoirs transmis et les apprentissages construits durant les temps d’enseignement, un temps de confortation laïque.
Non pas qu’il n’existe pas un cadre laïque de la classe, mais aujourd’hui l’école, sollicitée, doit apporter en plus des connaissances fondamentales indispensables, des savoirs sociaux construits à l’aune des principes de la République.
On peut certainement distinguer dans le temps de la scolarité d’un individu, plusieurs moments pour cette mise à l’épreuve éducative et cette introduction des savoirs dans des compétences sociales :
– À l’école primaire, la polyvalence du maître, même si celle-ci se rétracte du fait d’une augmentation d’intervenants autour de spécialités d’enseignement (langue, arts, éducation physique) ou du soutien scolaire, assure mieux le passage des « enseignements de… » aux « éducations à. » et à cette mise en actes qui permet de vérifier si le cadre laïque a bien été intégré, si les actions que fondent les savoirs et qui impliquent l’élève conduisent bien celui-ci à respecter et à s’approprier ce cadre.
– Dans le second degré, la structure éclatée des enseignements rend beaucoup plus délicat et difficile le rassemblement des pièces du puzzle du savoir pour donner du sens à la démarche scolaire, du fait de l’imperméabilité des disciplines héritée d’un passé culturel et professionnel ancré dans la juxtaposition. La multiplicité des professeurs s’est substituée à la polyvalence du maître. Les maîtres y sont multiples comme les lieux d’acquisition des savoirs. Il faut donc trouver un espace tiers pour donner sens aux apprentissages et construire ce sens. La vie scolaire constitue cet espace qui devrait y contribuer au sens si la communauté éducative veut bien la voir et la lire autrement que comme un lieu d’externalisation de la gestion des difficultés et des conflits ou un lieu d’enregistrement comptable des absences et des incivilités.
Aujourd’hui, trois textes nouveaux donnent ce rôle d’élaboration du sens à la vie scolaire et en font le vecteur laïque de l’éducation, une structure, un espace scolaire, une fonction d’engagement clairement identifiés dans le fonctionnement d’un établissement
– Le rapport sur l’enseignement laïque de la morale
« Le rôle de l’enseignant n’est donc pas de proposer “une morale”, mais de conduire les élèves à développer le courage de penser, la passion de comprendre, la volonté de s’engager ». En écho à cette orientation, le rapport fait une large place à la vie scolaire (p. 17 et plus particulièrement p. 38)
– Le rapport Pour un acte II de la vie lycéenne
Dans la vie lycéenne, les valeurs morales ne sont ni abstraites, ni formelles, elles guident et nourrissent les conduites des lycéens, forment la matière vivante de leurs projets et acquièrent une réalité sensible (p 33)
– L’article 15 de la charte de la laïcité
Par leurs réflexions et leurs activités, les élèves contribuent à faire vivre la laïcité au sein de leur établissement.
Dans ces diverses perspectives, l’élève est à la fois la cible, le vecteur, mais aussi l’acteur du cadre laïque et la vie scolaire contribue à la synthèse de ces trois caractéristiques. La proposition et l’accompagnement de projets collectifs à caractère humanitaire, environnemental, social, l’échange d’idées et l’implication dans des activités socio-éducatives, la pratique de l’argumentation dans les instances représentatives, autant de modalités que les personnels d’éducation développent pour délimiter l’espace démocratique de l’individuel et le ramener au collectif et à la règle commune.
Les espaces d’expression et d’appropriation de la laïcité dans la vie scolaire sont nombreux :
– La restauration où l’établissement doit faire le choix de donner le choix aux élèves et de ne pas entrer dans des menus qui réfèrent à telle ou telle religion ;
– Les circulations et les cours de récréation où les atteintes au respect de l’autre et où les formes de discrimination s’expriment et doivent être reprises par l’adulte enseignant et éducateur. C’est d’ailleurs à propos du temps de récréation que la notion de vie scolaire comme espace d’éducation apparaît dans une circulaire du 7 juillet 1890 ;
– Le centre de documentation et d’information dont l’alimentation du fond doit respecter le caractère laïque. Il est le lieu où l’élève doit être accompagné pour accéder à l’information, accompagné à l’exercice de son esprit critique face à une variété de ressources documentaires, où il peut y rencontrer des cultures variées, où il doit être interrogé sur ses lectures et ses recherches pour qu’il puisse argumenter sur ces choix ;
– L’internat où le respect du groupe et des règles de fonctionnement ne saurait empêcher le retour à soi pour intégrer les acquis d’une journée scolaire ;
– Le bureau du CPE où la justification d’une absence doit être une situation de maîtrise du langage et de l’argumentation.
Des outils particuliers, mais auxquels la communauté scolaire n’a pas encore accordé son label éducatif :
– Les heures de vie de classe dont on connaît les limites d’usage, trop souvent encore détournées pour terminer le programme, alors qu’elles devraient être un espace d’analyse commune de situations de vie, de gestion des différends, de construction et d’explicitation de références collectives ;
– Les conseils de vie lycéenne que désertent les représentants des personnels de l’établissement au mépris de la parole des élèves alors que ceux-ci sont très demandeurs de la présence adulte rassurante et guidante.
– Les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté dont les missions sont clairement définies et doivent contribuer à mettre les savoirs au service des « éducations à… ». Leur efficacité est reconnue quand les élèves y sont partie prenante ;
– La charte de la laïcité (septembre 2013) dont l’effet est limité si elle n’est pas accompagnée par les enseignants et les personnels d’éducation comme on le constate trop souvent. Elle ne saurait être qu’une simple affiche placardée au CDI ou dans le hall d’accueil ;
– La charte des règles de civilité et du collégien d’août 2011 restée très confidentielle et dont l’esprit mériterait d’être repris pour expliciter des articles de la charte de la laïcité ;
– Le règlement intérieur qui ne saurait consigner que des interdits et ne s’adresser qu’aux élèves. Il est pourtant un remarquable instrument d’éducation à la règle et à son sens dans une organisation.
Une démarche
La démarche de projet relevant de la vie scolaire, fonde des actions emblématiques des apprentissages de la responsabilité dans un cadre laïque. Les initiatives citoyennes, l’opération « envie d’agir », les semaines de l’engagement introduites en septembre dernier, et bien d’autres actions développées localement ne viennent pas en opposition aux enseignements, comme on peut parfois l’entendre, mais les mettent en action au travers d’une démarche formalisée. Celle-ci convoque, quand elle est structurée et objectivée :
– le principe de neutralité ;
– l’éthique de l’engagement ;
– la confiance envers le jeune individu qu’on élève à des savoir-faire à partir des savoirs transmis ;
– la vigilance de l’adulte dans sa mission d’éducation ;
– l’indispensable maîtrise du langage.
Cette énumération veut mettre en lumière des éléments qui contribuent à la maîtrise des savoirs. Ils ne sont pas une entrée dans les apprentissages qui seraient en opposition à ce qui se fait au sein de l’espace classe ou aux programmes. Les savoirs s’enseignent, mais ils prennent sens et s’ancrent dans la personnalité du jeune quand celui-ci en apprécie les usages. La vie scolaire a cette mission et viendra en complément efficace des enseignements quand la communauté scolaire en aura reconnu la vertu. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, mais on peut parier que les référentiels des métiers de l’enseignement et de l’éducation, la réflexion des groupes de travail sur les métiers que le ministre a initiés sont le moyen d’avancer sur cette complémentarité. Cependant, il faudra investir la formation des personnels dans au moins deux directions :
– préparer les personnels enseignants à la relation avec les conseillers principaux d’éducation dans une visée d’apprentissages et d’éducation et non pas à des fins uniques d’externalisation du traitement des infractions à la règle.
– préparer les conseillers principaux d’éducation à construire des situations, avec les enseignants, qui installent, de façon pérenne, les compétences sociales et les valeurs citoyennes qui donnent sens aux savoirs.
Paris, le 16 novembre 2013
Claude BISSON-VAIVRE
Inspecteur général de l’éducation nationale
Doyen du groupe établissements et vie scolaire