Le lycée Blanquer
Il y a deux ans, le ministre de l’Éducation nationale nouvellement nommé annonçait son intention de « simplifier et muscler » le baccalauréat. La simplification a consisté à organiser un système très compliqué de partiels doublé d’un contrôle continu, qui s’étend sur les deux années de Première et Terminale. Il désorganisera l’année scolaire et la vie des établissements, produira un morcellement de l’acquisition des connaissances, renforcera le bachotage, et marginalisera l’épreuve de philosophie. Quant au « muscle », la lecture de certains programmes pourrait y faire croire. Mais ce serait ignorer les effets de l’introduction de la concurrence entre les disciplines et des professeurs par le système des spécialités, qui détruira la relation pédagogique avec les élèves et tirera artificiellement les notes à la hausse. Ce serait oublier l’imposition d’une spécialité confuse, baptisée Humanités, littérature et philosophie, que l’APPEP cherche à rendre praticable. Ce serait oublier également, les classes pléthoriques dans lesquelles voisineront des élèves ayant choisi des spécialités différentes, ce qui rendra plus difficiles les enseignements communs, et tout particulièrement celui de philosophie.
Le programme
S’agissant du programme d’enseignement commun, l’APPEP a pris bonne note de ce que le projet présenté par le CSP en juin soit un véritable programme de notions, qui garantit la liberté de l’enseignement philosophique en lycée. Si cela était confirmé, diverses manœuvres auront échoué et l’insistance de l’APPEP n’aura pas été vaine.
Cependant, ce projet se heurte dans la voie technologique à un horaire sans dédoublement, qui compromet gravement sa mise en œuvre. Dans la voie générale, le projet de programme lui-même semble oublier les conditions réelles de l’enseignement. C’est pourquoi l’APPEP a demandé une diminution du nombre de notions, ainsi qu’un ordonnancement de leur présentation, et a fait des propositions en ce sens. Sera-t-elle entendue ? Ces lignes sont écrites avant que le projet final soit connu. En tout état de cause, il faut une nouvelle fois, déplorer la précipitation du ministère, qui veut publier en juillet 2019 un programme qui doit entrer en vigueur en décembre 2020. Le refus d’organiser une concertation sérieuse avec la profession, la légèreté avec laquelle est considéré un programme qui doit définir l’enseignement de la philosophie pour une décennie au moins sont le prix que le ministre fait payer aux professeurs de philosophie et à des générations d’élèves pour clore sa réforme avant la rentrée, et espérer ainsi garantir sa tranquillité politique. L’APPEP ne peut l’accepter et demande que la publication du programme ne se fasse pas avant décembre 2019. D’ici là des réunions permettant des échanges et des discussions doivent être organisées dans toutes les académies, sous l’égide des IPR.
Les épreuves
La même précipitation préside à la définition des épreuves du baccalauréat. Initialement prévue pour l’automne prochain, elle a été avancée à l’été. L’Inspection générale nous a d’abord assuré que nous serions consultés, la DGESCO l’a confirmé, mais l’accélération du calendrier rend la chose incertaine.
Avec 84 % des collègues qui ont répondu à sa consultation sur les projets de programmes, l’APPEP demande que la dissertation et l’explication de texte restent les exercices de référence pour la voie générale. Il faut se réjouir que les Propositions relatives aux épreuves d’examen en philosophie faites par le GEPP confirment que « l’épreuve écrite du baccalauréat repose sur ces deux formes majeures de composition écrite : la dissertation et l’explication de texte », et ne retiennent pas l’hypothèse d’une dissertation sur corpus, qui compliquerait inutilement le travail des candidats. En revanche, envisager la possibilité d’accompagner les sujets de « questions qui facilitent l’étayage des compositions (dissertation ou explication de texte) » est inquiétant, ainsi que nous l’avons montré à propos de la réforme en série STHR.
Pour la voie technologique, l’APPEP continue de demander une réflexion collégiale et regrette de n’avoir pu rencontrer la Commission de suivi de la réforme de l’épreuve en STHR.
Les sujets
La piètre qualité de certains sujets de baccalauréat proposés aux candidats cette année ne doit donc pas servir de prétexte à une remise en cause de la dissertation ou de l’explication de texte. Mais elle confirme la nécessité d’apporter le plus grand soin possible à la confection des sujets et à l’évaluation des copies. L’APPEP demande une charte pour la formation des sujets et regrette que les réunions d’entente et d’harmonisation soient les seules occasions pour les correcteurs d’échanger sur les copies. Sans méconnaître les difficultés liées à la nécessaire confidentialité de ces échanges, nous avons donc demandé à la DGESCO qu’un forum électronique offre aux correcteurs la possibilité de communiquer entre eux pendant le temps de la correction. Cette demande a été reçue favorablement. L’APPEP sera évidemment attentive aux suites qui lui seront données.
La consultation de l’APPEP
L’APPEP a fait valoir à de très nombreuses reprises qu’on ne pouvait réformer sans l’expertise et l’avis des professeurs, qui connaissent le mieux les besoins des élèves et auront à appliquer les mesures décidées. Dans un contexte autoritariste, le succès de la consultation sur les projets de programmes organisée par l’Association avec ses seuls moyens, et à laquelle un tiers de la profession a participé, doit être pris très au sérieux par le ministère. Par-delà les enseignements précis sur chacun des sujets abordés, la réussite de cette enquête prouve, une fois encore, la force de l’engagement professionnel des professeurs de philosophie. Quel corps de métier, dans l’Éducation nationale ou ailleurs, est-il susceptible de répondre aussi massivement et aussi substantiellement à une enquête professionnelle[1] ? La mobilisation des correcteurs de philosophie lors des commissions de baccalauréat témoigne également de cet engagement.
L’APPEP contribue à faire entendre la voix des professeurs de philosophie et est honorée par leur confiance. C’est pour moi l’occasion de remercier tous ceux qui ont adressé ces derniers mois des messages de soutien au Bureau et d’inviter tous les adhérents de l’APPEP à renouveler leur adhésion, sans attendre les rappels du trésorier. Adhérez et faites adhérer à l’APPEP, renforcez votre association !
Bel été à toutes et à tous !
Nicolas Franck,
Président de l’APPEP
23 juin 2019
[1]. On notera par exemple qu’une récente enquête du Syndicat de la magistrature sur le travail des magistrats, moitié moins longue que celle de l’APPEP sur les programmes, a été saluée comme un grand succès et a rencontré un large écho dans la presse, alors que moins de 9 % des intéressés y ont répondu.