Lettre à Xavier Turion, adjoint au Directeur général de la DGESCO
Paris, le 3 mars 2015
Monsieur le Directeur général adjoint,
Nous avions attiré votre attention sur le rôle que les professeurs de philosophie pouvaient jouer dans l’enseignement moral et civique, lors de l’audience que vous nous avez accordée le 11 février 2015.
Vous nous aviez alors indiqué l’existence d’une fiche adressée le 9 février aux recteurs dont nous avons depuis eu connaissance.
Nous nous inquiétons d’y lire que dans la grande majorité des séries technologiques, au titre du volet de leur programme consacré à l’éducation civique, « les professeurs d’histoire-géographie ont vocation à prendre en charge l’enseignement d’EMC sur la totalité du cursus ». Le rôle des autres professeurs étant limité à de simples « interventions », sauf dans la classe terminale des séries STL, STI2D et STD2A où, en l’absence d’enseignement d’histoire-géographie, les professeurs de philosophie « pourraient être chargés de l’EMC ».
Si nous concevons la légitimité d’une approche historique et géographique de l’EMC, la contribution d’une approche philosophique en classes terminales nous paraît indispensable. C’est pourquoi nous ne comprenons pas cette priorité accordée à l’histoire-géographie. D’une part, comme nous avons eu l’occasion de vous le montrer, le programme d’EMC s’inscrit en contrepoint du programme de philosophie. Ce n’est donc pas seulement un volet du programme qui est en rapport avec l’EMC, mais sa totalité. D’autre part, l’asymétrie de votre recommandation, selon laquelle les professeurs de philosophie pourraient tout au plus être chargés de l’EMC, les place dans la concurrence d’autres disciplines, alors que les professeurs d’histoire voient reconnue leur vocation à assurer cet enseignement, ce qui rend, pour eux, l’attribution de l’EMC indiscutable.
Nous nous inquiétons également des conséquences de cette recommandation sur les équilibres existant actuellement.
En effet, la réforme se faisant à moyens constants, « le financement dédié à l’enseignement moral et civique (30 minutes hebdomadaires en groupe à effectif réduit) sera prélevé sur les enveloppes globalisées ». Cela signifie que si les professeurs de philosophie se voient attribuer l’EMC, ils n’auront pratiquement aucune chance d’obtenir une heure de travail en groupe à effectifs réduits, malgré la recommandation adressée aux recteurs le 15 janvier 2015 par le directeur du cabinet de la ministre.
En outre, dans la majorité des classes, lorsque les professeurs d’histoire-géographie ou d’une autre discipline se verront attribuer l’EMC, les professeurs de philosophie risqueraient de perdre l’heure de travail en groupe à effectifs réduits qui existe dans bon nombre de lycées, l’enveloppe globalisée ne permettant pas de la financer en même temps que l’EMC. Ainsi, l’introduction de l’EMC dans les séries technologiques conduirait à une nouvelle dégradation des conditions d’enseignement de la philosophie, très préjudiciable pour les élèves et leurs enseignants. En effet, les professeurs de philosophie qui enseignent dans les lycées technologiques peuvent avoir jusqu’à neuf classes, ce qui empêche évidemment tout travail serein et tout suivi efficace des élèves. Un affaiblissement de la philosophie dans les séries technologiques serait un très mauvais signal pour la crédibilité et la valorisation de ces séries.
Enfin, aucune recommandation n’ayant été donnée à propos des séries générales, les proviseurs vont extrapoler à partir de cette « vocation » des professeurs d’histoire-géographie affirmée dans la fiche du 9 février. Ceux-ci y trouveront un solide point d’appui pour, dans les conseils pédagogiques, faire valoir leur légitimité à se voir attribuer cet enseignement. Nous avons d’ores et déjà des témoignages de ce détournement des recommandations de la DGESCO.
Il serait désolant que l’introduction de l’EMC conduise à une dégradation de l’enseignement de la philosophie et de la situation des professeurs, alors qu’une approche philosophique de l’EMC correspond à un besoin, en complément notamment d’une approche historique et géographique dispensée depuis la Sixième.
L’intérêt des professeurs de philosophie pour l’EMC s’est pourtant déjà manifesté par leur participation massive à la consultation sur le programme. De nombreux débats sur ce nouvel enseignement se déroulent dans les Régionales de l’APPEP, et, dès que le programme d’EMC sera publié, le bureau national de l’APPEP portera sur son site les contributions de ses adhérents pour nourrir la réflexion commune. Il serait dommage que des recommandations déséquilibrées découragent les professeurs de philosophie.
C’est pourquoi nous vous demandons :
1- de veiller à ce qu’en aucun cas, l’attribution de l’EMC ne se fasse aux dépens du travail en groupes à effectifs réduits en philosophie ;
2- de préciser aux chefs d’établissement qu’il n’y a pas lieu d’attribuer exclusivement l’EMC aux professeurs d’histoire-géographie dans les classes terminales, qu’il s’agisse des séries technologiques ou des séries générales.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur général adjoint, l’expression de nos sentiments respectueux,
Pour le Bureau de l’APPEP, Nicolas Franck