La crise du recrutement des enseignants est un fait connu de tous. Dans certaines disciplines, le taux de rendement des concours a atteint un niveau dramatiquement bas.
Bien que la perte d’attractivité du métier soit aisément explicable par les conditions dégradées de son exercice et par l’obstination des pouvoirs publics à laisser chuter le pouvoir d’achat de leurs agents, des solutions tout à fait impropres à redresser la situation ont été avancées il y a plus d’un an. L’Appep s’en est alarmée publiquement.
La solution que le ministère s’apprête maintenant à imposer dans la précipitation est tout aussi peu ambitieuse et constitue même un grave péril pour notre métier.
En effet, en envisageant de recruter les professeurs certifiés en fin de troisième année de licence, il fait le choix d’étendre son vivier en abaissant drastiquement le niveau de connaissances requis pour devenir professeur. Il ne s’agit pas d’un retour au Capes accessible aux titulaires de la licence : la préparation du concours dès la troisième année ne saurait être confondue avec l’année autrefois consacrée exclusivement au concours, année dont on sait quel approfondissement des connaissances et quelle projection dans la profession d’enseignant elle permettait. Il est extrêmement douteux que les années de master prévues pour parachever la formation des lauréats puissent compenser ces insuffisances.
Les maigres appointements prévus dès l’année de M1 pour des lauréats soumis à un engagement quadriennal seront-ils un appât suffisant pour garantir le nombre nécessaire de professeurs ? La déqualification du métier, jointe à sa faible rentabilité financière, ne peut qu’inciter à la démission en cours de carrière.
Ajoutons qu’une déconnexion des masters de formation des enseignants et des masters de recherche ne peut que nuire à l’attractivité de ces derniers, en particulier dans des disciplines comme la philosophie, où l’enseignement est un débouché capital. Avancer le concours de deux ans revient, en effet, à réduire la formation disciplinaire à peau de chagrin, au profit de la formation pédagogique. Or, l’Appep a toujours dénoncé la coupure entre ces deux aspects du métier : une bonne pédagogie s’appuie sur la compétence disciplinaire, et même la cultive. Ni l’enseignement ni la recherche n’ont à gagner au fossé que la réforme tend à creuser entre le Capes et l’agrégation. L’Appep a continûment dénoncé l’abus d’une séparation abstraite entre maîtrise disciplinaire et compétence pédagogique.
Cette réforme est mise en place à marche forcée. Nul ne sait aujourd’hui quelle forme prendront les « écoles normales du 21e siècle », qui y enseignera, quel sera leur lien avec l’Université. Les conditions du Capes 2025 s’annoncent déjà précaires, sinon rocambolesques.
Face à ces aberrations, l’Appep demande :
- que le projet de réforme soit retiré ;
- que les dispositions prévues pour le Capes requièrent une année spécifique de préparation, une fois la licence obtenue ;
- que soit écartée toute disposition susceptible d’entraver l’orientation des étudiants en master de recherche vers les concours d’enseignement ;
- que l’épreuve orale d’« entretien avec le jury » soit remplacée, au Capes, par une épreuve disciplinaire ;
- qu’enfin conscient que l’attractivité du métier est fonction de sa respectabilité, le ministère envisage des mesures de revalorisation dignes de la « première priorité nationale » et éloigne le spectre d’un corps enseignant parmi les plus mal rétribués de l’OCDE.
Au dire du ministère, les réformes du lycée et du baccalauréat donnaient une place éminente à la philosophie. Elles faisaient de cette discipline, considérée comme essentielle au développement de la responsabilité intellectuelle attendu du cycle terminal, l’objet de la seule épreuve écrite universelle en classe de terminale.
Dans les faits, pourtant, la philosophie est privée des conditions nécessaires à son exercice, et l’épuisement des professeurs témoigne d’une situation fortement dégradée :
- Il est difficile d’obtenir l’investissement de tous les élèves dans une discipline qui, alors même qu’elle est réputée capitale, est affectée d’un coefficient qui la signale comme négligeable. Inférieur à celui des épreuves anticipées de français dont il devrait être le symétrique, ce coefficient est d’autant plus humiliant qu’il est aussi inférieur à celui du grand oral dont la définition interdit toute évaluation sérieuse, alors même qu’aucune heure spécifique n’est prévue dans les emplois du temps pour le préparer.
En conséquence, l’Appep demande l’élévation du coefficient de philosophie au niveau du coefficient de lettres en terminale générale (de 8 à 10) de même qu’en terminale technologique (de 4 à 10).
- L’enseignement de la philosophie dans la voie technologique a lieu dans des conditions très dégradées et souvent difficiles. Depuis la réforme Chatel de 2010, le dédoublement de la deuxième heure n’est plus cadré nationalement. Dans la majorité des établissements, les professeurs ont des classes entières. Les élèves se trouvent ainsi privés des bénéfices qu’apportent les effectifs réduits.
L’Appep demande le dédoublement, garanti nationalement, d’au moins une heure hebdomadaire dans la voie technologique.
- La création de la spécialité « Humanités, Littérature et Philosophie » ne compense pas la disparition de la filière littéraire. En classe de première, certes, les élèves et leur professeur semblent avoir du temps pour une approche sereine de cet enseignement nouveau. Mais c’est à condition de faire leur chemin dans un programme aux attendus confus, aux rubriques alambiquées, aux recommandations foisonnantes et emmêlées. Pour l’examen en terminale, des exercices d’un type inusité en philosophie et en lettres ont été imposés, ce qui sème la confusion dans l’esprit des élèves qui ont choisi cette spécialité et se voient contraints de se préparer, au total, à quatre sortes d’exercices pour la seule philosophie (deux types d’exercices en HLP, deux types d’exercices en tronc commun). Cette confusion des méthodes et du programme est, en outre, l’une des raisons pour lesquelles les élèves abandonnent cette spécialité en terminale.
L’Appep demande :
- la transformation de l’épreuve finale de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » en épreuve unique d’explication ou commentaire de texte de quatre heures, soit de philosophie, soit de lettres, au choix du candidat. Chaque texte pourrait porter sur une entrée différente du programme.
- une révision du programme de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie », dans le sens d’une simplification, d’une clarification, d’un allègement et d’un rapprochement du programme avec le programme de notions qui caractérise la philosophie en tronc commun ;
- l’intégration dans le temps de service des professeurs de lettres et de philosophie en charge de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » d’une heure de concertation hebdomadaire.
- La préparation à l’examen exigerait que les élèves s’y exercent régulièrement dans ses conditions réelles. Or l’organisation de devoirs sur table en quatre heures rencontre fréquemment des obstacles, voire des résistances au sein des établissements, alors même que les recommandations de l’Inspection générale les prescrivent et que les difficultés de rédaction observées dans l’enseignement supérieur montrent que cette préparation est cruciale.
L’Appep demande une injonction, par circulaire adressée aux chefs d’établissement, à faciliter l’organisation de devoirs sur table.
- On pourrait s’attendre à ce que la philosophie trouve sa place dans l’enseignement moral et civique, dont les nouveaux programmes confirment les nombreux croisements avec des questions essentielles de la philosophie. Or aucun effort concret n’est fait, à quelque niveau de l’institution que ce soit, pour briser le quasi-monopole de fait dont jouit l’histoire-géographie dans cet enseignement, ni pour soutenir les pistes suggérées par l’Appep pour mobiliser comme il se doit les enseignants de philosophie.
L’Appep demande une injonction, par circulaire adressée aux chefs d’établissement, à mobiliser l’ensemble des disciplines pour l’enseignement moral et civique, en particulier la philosophie en terminale.
- L’enseignement de la philosophie est aussi fragilisé par l’incertitude qui plane sur l’avenir des classes préparatoires aux grandes écoles où la philosophie a toujours compté comme une discipline-pilier. La réforme des concours, en outre, menace la pérennité des licences et des masters de philosophie dans les départements universitaires où elles sont déjà précaires.
L’Appep demande le maintien de la philosophie dans toutes les formations du supérieur où elle est déjà présente, ainsi que dans la formation des enseignants, tout particulièrement en philosophie de l’éducation.
L’Appep s’alarme des sérieuses menaces qui planent sur la pérennité du baccalauréat. L’introduction significative du contrôle continu dévalorise l’examen et signe sa disparition comme diplôme national et premier grade universitaire. La disparition de la classe comme unité de l’enseignement scolaire et la désorganisation des emplois du temps induites par la réforme du lycée compliquent considérablement la préparation aux dernières épreuves nationales, terminales et anonymes du baccalauréat. L’Appep constate en outre que le report des épreuves de spécialité au mois de juin n’a nullement empêché la démobilisation des élèves des classes terminales au troisième trimestre.
Par ailleurs, le nouveau calendrier du baccalauréat fait peser sur les professeurs de philosophie une charge de correction accablante. Ils sont susceptibles de corriger l’épreuve de leur discipline et l’épreuve de leur spécialité, et outre cela de siéger dans les jurys du grand oral. Une telle situation ne peut qu’être préjudiciable à la qualité de la correction que l’institution a le devoir de garantir aux candidats.
Par conséquent, l’Appep demande :
- le retour à des épreuves nationales, terminales et anonymes ;
- la remise à plat de la réforme du lycée ;
- que la date de l’épreuve de philosophie soit fixée dix jours avant celle des épreuves de spécialité.
L’Appep s’alarme de l’état moral des professeurs de philosophie. Dans le questionnaire qu’elle leur soumet chaque année, ils sont de plus en plus nombreux à témoigner de leur désarroi, de leur épuisement et de leur colère.
Depuis la réforme du baccalauréat et du lycée, le morcellement de leurs services, la dégradation des emplois du temps, la lourdeur des effectifs, la charge de correction qui leur incombe pendant l’année scolaire et au moment du baccalauréat, la multiplication des tâches administratives induite, notamment, par Parcoursup, ou encore la difficulté accrue d’organiser des devoirs en quatre heures, font que beaucoup ne reconnaissent plus leur métier. Ils ont de moins en moins de temps à consacrer à ce qui lui donne pourtant son sens et entretient leur désir de continuer à l’exercer : lire, se cultiver, se former, s’investir dans un travail de recherche, préparer patiemment leurs cours pour susciter chez les élèves le goût de la réflexion, éveiller leur esprit critique et leur donner les outils pour se forger un jugement autonome.
Le ministère doit prendre toute la mesure de cette situation alarmante. À l’heure de la multiplication des canaux d’information mais aussi des rumeurs et des fausses nouvelles, l’enseignement de la philosophie demeure un rempart contre bien des dérives. Encore faut-il que les professeurs eux-mêmes puissent prendre le recul nécessaire à leur réflexion propre, sans quoi ils ne sont plus en capacité d’éveiller celle des élèves.
Le ministère doit entendre l’immense désarroi des professeurs de philosophie et tenir compte de leurs légitimes demandes afin qu’ils retrouvent un minimum de loisir de penser, sans être sans cesse harassés de tâches administratives et de corrections interminables du fait d’un trop grand nombre d’élèves à charge.
L’Appep attend du ministère qu’il demande aux chefs d’établissement de veiller tout particulièrement à la cohérence des services et des emplois du temps des professeurs de philosophie.
D’autre part et surtout, afin de revenir à des temps de correction raisonnables et de garantir aux élèves l’attention que leur travail mérite, l’Appep demande qu’aucun professeur n’ait plus de 150 élèves et que cette limitation soit inscrite dans les ORS. Si cette limite était dépassée, l’Appep demande qu’une indemnité pour effectifs pléthoriques multipliée par le nombre de classes à charge soit accordée au professeur.