La France a besoin que les citoyens de demain bénéficient d’un enseignement de philosophie, critique et structurant. En témoignent les multiples demandes que la société adresse à la philosophie, de l’éthique clinique dans les hôpitaux aux éclaircissements sur le respect du principe de laïcité en passant par la réflexion sur le sens des institutions républicaines dans un contexte de mondialisation. Le ministre de l’Éducation nationale visait juste en annonçant que l’enseignement de la philosophie au lycée ne devrait pas craindre pour son sort.
Mais l’affichage médiatique ne résiste pas à l’examen de la réforme en cours, qui annonce en fait un affaiblissement sensible de la philosophie. Elle fait disparaître un enseignement approfondi et très formateur, tel qu’il est aujourd’hui dispensé dans 2500 TL du pays, d’où sont issus plus de 50 % des étudiants en philosophie à l’Université et des élèves de CPGE littéraires. Avec la réforme, l’horaire de philosophie en TL serait amputé de moitié.
« Humanités, littérature et philosophie », la seule « Spécialité » où les professeurs de philosophie pourraient intervenir, ne compensera pas cette perte. Elle proposerait en effet, si elle n’était pas mieux définie, un enseignement fourre-tout, aux contours incertains, dépourvu de la rigueur et de la légitimité que confère une discipline scolaire et universitaire. Elle préparerait à une épreuve confuse, corrigée indifféremment par des professeurs de lettres ou de philosophie. De surcroît, son organisation horaire, assujettie aux arbitrages locaux, menace son existence même.
Le passage de trois spécialités en Première à deux en Terminale placerait les enseignants en concurrence directe face à leurs propres élèves. En Première, ils seraient amenés à enseigner et évaluer dans la perspective du maintien d’un effectif suffisant pour ouvrir la spécialité en Terminale. Cela ne serait pas de nature à créer les conditions d’un travail serein pour des élèves de 17 ans. En Terminale, certaines classes, à l’effectif très probablement pléthorique, mêleraient des élèves qui n’auraient jamais eu de cours de philosophie, à d’autres qui auraient choisi de poursuivre la spécialité qui implique la philosophie, tandis qu’un troisième groupe d’élèves aurait dû abandonner cette spécialité ! Aucune acrobatie pédagogique ne pourrait garantir aux élèves la cohésion minimale, nécessaire à l’apprentissage de cette discipline exigeante.
Les professeurs de philosophie s’inquiètent en outre de devoir enseigner en mai et juin dans un lycée déserté par des lycéens déliés de toute autre obligation que la préparation de l’épreuve de philosophie et du « grand oral ». Avec une épreuve terminale prévue fin juin, ils subiront des conditions de correction encore plus dégradées qu’aujourd’hui. La baisse générale du coefficient de philosophie confirme cette marginalisation de la philosophie.
Dans les séries technologiques, la seule réforme qui s’applique à la philosophie consiste en la diminution de son coefficient et en la perte définitive de la possibilité de travailler en demi-groupe avec les élèves, condition sine qua non de leur progrès.
L’APPEP demande que des solutions soient trouvées pour qu’un enseignement approfondi de la philosophie soit encore possible dans le lycée de demain.
À cette fin, elle réclame :
- un cadre horaire national pour la spécialité, égalitaire entre les deux disciplines, afin d’éviter la mise en concurrence des professeurs de lettres et de philosophie, alors même que le ministère prétend les associer dans un travail commun ;
- une épreuve terminale qui respecte les spécificités disciplinaires : deux exercices séparés, l’un de lettres, l’autre de philosophie, chacun corrigé par un professeur de la discipline concernée, car ce n’est que sur cette base que pourrait être envisagée la découverte stimulante, formatrice et nécessaire des « humanités » ;
- la garantie que la spécialité « Humanités, littérature et philosophie », indispensable à de nombreuses poursuites d’études, soit présente dans tous les lycées ;
- la possibilité aux lycéens demandeurs d’une cohérence et d’une continuité pédagogique, de conserver en Terminale les trois spécialités choisies en Première.
Elle demande également :
- un horaire de trois heures, dont au moins une dédoublée, dans les classes de la voie technologique;
- une réévaluation du coefficient de l’épreuve de philosophie dans les voies générale et technologique.