L’écrivain récemment disparu Abdelwahab Meddeb, montre qu’aujourd’hui l’islam politique ne constitue pas seulement une menace pour la démocratie mais pour l’islam lui-même, comme religion et comme civilisation. À l’intégrisme religieux qui enferme la religion musulmane dans des évidences trompeuses et asservissantes, Abdelwahab Meddeb propose de faire sortir, par l’interprétation et la confrontation à l’histoire, les sources vives d’un Texte aux potentialités infinies, en déployant sur le Coran la même méthode interprétative que Spinoza appliqua à la lecture de la Bible, qui procède à partir de l’Écriture elle-même, en ne lui attribuant d’autres enseignements que ce que l’enquête historique aura donnés.
L’intégrisme n’est pas seulement un danger pour la stabilité du monde, il constitue une menace pour l’islam lui-même. Le primat du politique est en train de détruire l’islam comme religion et comme civilisation. L’inhumanité d’une exigence politique au nom de Dieu est en train de produire des monstres ; cette nouvelle machine porte atteinte à la religion pourvoyeuse de sujets humains. Réduire la croyance au seul critère du droit divin asservit l’énergie créatrice. (…) Une lutte sans merci s’impose contre ceux qui attentent à la civilisation. S’y ajoute un devoir de mémoire envers ce que l’Islam a apporté à ladite civilisation. La guerre contre la barbarie ne peut gagner sa légitimité qu’au prix d’une telle reconnaissance. Et lorsqu’on voit la séculaire et impressionnante accumulation d’œuvres et de savoir de et sur l’Islam, on constate que cette reconnaissance peut être tout à fait active au sein de la langue française. (…)
Je ne vois pas comment retrouver la fonction symbolique du Coran sinon en rendant le sens à son obscurité, c’est-à-dire en renvoyant le Texte à son infini, ce qui ferait de son interprétation une tâche perpétuelle, jamais achevée, toujours recommencée, loin des vérités naïves et des évidences fallacieuses qui fanatisent les foules. Mettre le Texte entre les mains d’interprètes avertis le détacherait de l’usage pratique qui l’érige en guide moral, juridique et politique, dilapidant l’ambition qui l’assimile à un absolu, c’est-à-dire à l’indécidable que recèle l’infini. Il faudra donc faire trembler le Texte non seulement en le soumettant à la puissance interprétative, mais aussi en osant ouvrir le chantier de sa genèse pour l’arrimer à l’histoire, comme le fit Spinoza pour la Bible dans son Tractatus Theologico-Politicus. Ce préalable spinoziste acquis, il faudra ensuite se saisir des saillies qui essaiment dans le corpus traditionnel théologique, exégétique et spirituel, afin de rendre le sens à l’indécision et à l’équivoque, lesquelles ne sont pas induites par la seule herméneutique mais aussi par le jugement philologique orienté selon les critères de l’historicité.
Abdelwahab MEDDEB, Pari de civilisation, Seuil, 2009, pp. 115-116 ; p. 24.
II.7 – La neutralité, moyen de la laïcité
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