La façon dont on définit la laïcité est inséparable des enjeux du moment. Dans la France contemporaine, ce n’est plus la relation de l’État avec l’Église catholique hégémonique qui est en cause. Aujourd’hui, la fragmentation communautariste fait obstacle à la visée universaliste de la laïcité et à ses trois exigences fondamentales : la liberté de conscience, l’égalité des droits et le primat de l’intérêt général. Selon le philosophe Henri Pena-Ruiz, la laïcité préserve aujourd’hui des replis identitaires et des fragmentations que fait courir le communautarisme.
Quel statut donner à la laïcité, et comment décliner son sens pour le rapport entre politique et religion ? La laïcité est en premier lieu un principe de droit politique. Ce principe suppose un idéal universaliste d’organisation de la cité et le dispositif juridique qui en rend possible la réalisation concrète. Ce dispositif est celui de la séparation, qui vaut garantie de l’indépendance des pouvoirs publics par rapport à toute tutelle religieuse. La refondation laïque de l’État vise la collusion traditionnelle du politique et du théologique, du trône et de l’autel. (…)
Trois exigences indissociables donnent sa force intégratrice à la laïcité : la liberté de conscience, irréductible à la seule « liberté religieuse », qui n’en est qu’une version particulière, l’égalité des droits de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions ou leurs options spirituelles, et le primat de l’intérêt général, du bien commun à tous, comme seule raison d’être de l’État.
Premier principe : la liberté de conscience approfondie en autonomie, irréductible à la simple indépendance : la faculté de se donner à soi-même sa propre loi se décline alors dans les différents registres de la liberté, dont la maîtrise personnelle du jugement, notamment, constitue un registre essentiel.
Deuxième principe : la stricte égalité des droits des hommes, sans discrimination ou privilège résultant de l’option spirituelle qu’ils adoptent : les divers croyants, les athées, les agnostiques doivent être traités et considérés de la même manière par la puissance publique et le droit qui organise la vie commune. Il faut noter que toute définition négative des athées ou des agnostiques, par privation par référence à la croyance, est incompatible avec ce principe d’égalité, qui implique l’abandon de toute sémantique discriminatoire. La garantie juridique de cette égalité réside dans une séparation nette de l’État et de toute Église, gage d’un caractère aconfessionnel des institutions publiques, et non de leur partage pluriconfessionnel.
Troisième principe : l’intérêt général comme raison d’être exclusive de la loi commune. Un tel modèle tourne le dos au communautarisme en préservant une sphère publique commune à tous par-delà les « différences ». Il tourne également le dos aux régimes discriminatoires, soit que ceux-ci privilégient un athéisme officiel, comme dans l’Union soviétique stalinienne, soit qu’ils privilégient l’option religieuse, comme dans les systèmes de religion officielle ou les régimes concordataires.
Pour donner aux trois principes évoqués une garantie institutionnelle forte, la laïcité affranchit la sphère publique comme la sphère privée de toute emprise exercée au nom d’une religion ou d’une idéologie particulière. Elle préserve ainsi de tout morcellement pluriconfessionnel ou communautariste, afin que tous les hommes puissent à la fois s’y reconnaître et s’y retrouver. D’où le principe de neutralité confessionnelle, gage d’universalité. L’État laïque ainsi défini se fonde sur des valeurs clairement affichées et assumées.
Henri PENA-RUIZ, Dictionnaire amoureux de la Laïcité, Plon, 2014, pp. 535-537.
III.3 – L’émancipation laïque dans le néolibéralisme
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