Le principe constitutionnel de laïcité interdit aux agents de l’État et des collectivités territoriales d’afficher une appartenance ou une non appartenance religieuse. C’est le principe de neutralité de la puissance publique qui permet aux associations religieuses ou athées de se constituer librement, d’agir et de s’exprimer comme elles l’entendent sous réserve de respecter le droit commun. Mais une association a-t-elle le droit de décider librement de se constituer comme association laïque impliquant des obligations qui lui sont propres et pouvant être semblables à celles imposées aux agents publics ? Est-elle autorisée à établir, par exemple, un règlement intérieur prévoyant l’interdiction pour les personnels de manifester leur appartenance religieuse ? La question ne concerne pas seulement les associations qui militent pour la laïcité, mais des écoles ou des crèches privées qui incluent dans leur projet éducatif la mise à distance de l’appartenance religieuse en vue de déployer une socialité dépassant les clivages ethniques et religieux. C’est le cas, par exemple, de la crèche Baby Loup (voir texte III.5). Catherine Kintzler éclaire la question à partir de la distinction conceptuelle du principe de laïcité qui s’impose aux pouvoirs publics et du régime de laïcité qui concerne également la société civile (voir texte II.12). Selon Catherine Kintzler, il convient notamment de distinguer dans la société l’espace civil ouvert au public, comme la rue, de l’espace interne d’une entreprise privée ou d’une association dotées d’un règlement intérieur sans lequel elles ne pourraient fonctionner. Aussi, n’y a-t-il pas lieu d’interdire par principe à une association ou une entreprise de choisir pour elle un mode de fonctionnement exigeant, qui la rapproche du principe de laïcité.
Le principe de laïcité ne peut s’appliquer partout, et notamment pas dans l’espace civil accessible au public, où la liberté de manifestation doit rester entière dans le cadre du droit commun. Mais il n’y a aucune raison de refuser qu’une entreprise ou association privée puisse s’inspirer en son sein, en sa clôture, pour son seul personnel, du principe de laïcité afin d’assurer la liberté de ses clients et de ses usagers en fonction du service qu’elle leur propose et conformément à la nature de son activité. L’espace civil commun où règne la plus grande liberté en matière d’expression n’en serait pas affecté ; car l’espace interne d’une entreprise n’a jamais été aligné, en ce qui concerne les libertés civiles, sur cet espace civil commun, sinon personne ne pourrait contraindre personne à des horaires de travail, à des mesures de sécurité et d’hygiène particulières, à porter un uniforme ou un logo pendant son service, etc. Donc il n’y aurait rien de choquant à ce qu’une entreprise, sur des critères que le législateur doit pouvoir définir, puisse introduire une clause « de laïcité » (ou de « neutralité religieuse » si l’on veut maintenir la spécificité et l’exclusivité du domaine de la puissance publique en lui réservant le terme de « laïcité »), en relation avec la nature de son activité et non sur un simple choix non motivé.
Catherine KINTZLER, Penser la laïcité, Minerve, 2014, p. 152.
III.7 – Laïcité instituée et laïcité intériorisée
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