Edgar Quinet est avec Condorcet un « précurseur » majeur de la laïcité scolaire et une référence explicite pour Jules Ferry et Ferdinand Buisson. Au lendemain de l’échec de la Révolution de 1848, Edgar Quinet s’interroge sur le destin de la France qu’il voit tiraillée entre son passé monarchique et son idéal démocratique. La France qui fut « la fille aînée de l’Église » est aussi l’héritière de la Révolution de 1789. Le problème est que la France du XIXe siècle n’a renoncé à aucun des deux héritages, et qu’elle se trouve ballottée entre deux principes opposés : la « monarchie religieuse » et la « société laïque » inventée par la Révolution. Le premier ramène la France en arrière tandis que le second principe ne parvient pas à imposer irrésistiblement la force de liberté qu’il porte en lui. Il s’agit pour Quinet, après un demi-siècle de soubresauts, de trouver la méthode pour installer durablement la société moderne issue de la Révolution. Une éducation républicaine qui répand de génération en génération les principes de 1789, sans prétendre imposer une religion de substitution, lui apparaît la voie la plus sûre pour faire triompher les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Par sa façon de présenter la vocation de l’enseignement laïque républicain, porteur d’un principe de fraternité supérieur aux divisions religieuses, Quinet est notre contemporain (voir texte III.11).
Quelle est la raison d’être de l’enseignement laïque ? (…) On répète incessamment que la société laïque n’a aucun principe, et par conséquent rien à enseigner. Il faut du moins reconnaître qu’elle peut mieux qu’aucune autre s’enseigner elle-même, et voilà précisément de quoi il est question dans l’enseignement laïque.
Pour moi, j’ai toujours prétendu qu’elle possède un principe que, seule, elle est en état de professer, et c’est sur ce principe qu’est fondé son droit absolu d’enseignement en matière civile. Ce qui fait le fond de cette société, ce qui la rend possible, ce qui l’empêche de se décomposer, est précisément un point qui ne peut être enseigné avec la même autorité par aucun des cultes officiels. Cette société vit sur le principe de l’amour des citoyens les uns pour les autres, indépendamment de leur croyance.
Or, dites-moi, qui professera, non pas seulement en paroles, mais en action cette doctrine, qui est le pain de vie du monde moderne ? Qui enseignera au catholique la fraternité avec le juif ? Est-ce celui qui, par sa croyance même, est obligé de maudire la croyance juive ? Qui enseignera à Luther l’amour du papiste ? Est-ce Luther ? Qui enseignera au papiste l’amour de Luther ? Est-ce le pape ? Il faut pourtant que ces trois ou quatre mondes, dont la foi est de s’exécrer mutuellement, soient réunis dans une même amitié. Qui fera ce miracle ? Qui réunira trois ennemis acharnés, irréconciliables ? évidemment un principe supérieur et plus universel. Ce principe, qui n’est celui d’aucune Église, voilà la pierre de fondation de l’enseignement laïque.
Edgar QUINET, L’enseignement du peuple (1850), 2001, Hachette Littératures, pp. 128-140.
IV.3 – L’instruction, un droit absolu pour l’enfant
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Ressources proposées par l’APPEP pour l’enseignement moral et civique.