À la fin du siècle dernier, un préjugé idéologique a fait croire que plus l’école serait exonérée de l’obligation de transmettre des connaissances, plus elle rendrait service aux élèves. Ce préjugé est-il aujourd’hui en voie d’extinction ou a-t-il pris des forces nouvelles sous l’effet de l’ultralibéralisme ? L’actuelle invasion des compétences et de l’évaluation en continu fait craindre une incrustation profonde de la vulgate anti-instruction.
Pourtant, tout ne semble pas joué. Ainsi, au lendemain des attentats meurtriers de janvier 2015 à Paris, la Ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem a lancé un appel à la mobilisation de l’école pour transmettre les valeurs de la République parmi lesquelles la laïcité. L’instruction est alors à nouveau apparue comme la grande tâche, patiente, lucide et persévérante, de l’école laïque, selon des formes appropriées au monde d’aujourd’hui. D’où, en effet, l’école tirerait-elle sa légitimité particulière à faire partager les valeurs de la République si elle ne transmettait pas des connaissances les plus objectives et les mieux assurées, qui munissent les élèves des moyens intellectuels pour comprendre le monde dans lequel ils vivent ? Assurément, il ne s’agit pas de transmettre les connaissances comme si l’on dictait des consignes. Nul ne s’instruit vraiment s’il ne comprend pas ce qu’il apprend et s’il n’est pas placé en situation de vouloir progresser dans sa science. Mais l’actuel déferlement des compétences à l’école, au détriment des connaissances, récemment pointé par l’Académie des sciences, entrave l’accomplissement des missions essentielles de l’école. En l’absence de formation au raisonnement critique et de transmission de connaissances fondamentales autour de disciplines scolaires solides, l’école laïque sera inévitablement suspectée d’une volonté d’endoctrinement idéologique lorsqu’elle se mobilise pour les valeurs de la République. Et elle ne disposera pas de l’autorité morale pour résister aux pressions des communautarismes réglés selon le principe d’autorité.
Un deuxième préjugé fait également obstacle à l’accomplissement de la tâche qui incombe à l’école laïque : transmettre à la fois des connaissances assurées et les valeurs de la République. Il consiste à imaginer que l’école pourrait à elle seule faire disparaître les racismes, les replis identitaires, les préjugés, les violences… Il suffirait pour cela qu’elle organise des débats bien conclus et qu’elle mobilise les bons sentiments qui poussent à l’engagement. Cet excès de confiance en l’efficacité du « super prof carrément investi » et aux recettes d’experts verbeux, conduit à attendre l’impossible de l’enseignant. De telles demandes, fréquemment irrationnelles par leur démesure, culpabilisantes et concurrentielles, produisent très généralement l’effet contraire de celui escompté, puisqu’elles découragent les enseignants et aggravent leur insécurité. Il en est de même de l’autoritarisme, qu’il soit pédagogique ou administratif, souvent révélateur d’ignorances et de dysfonctionnements, singulièrement contreproductif lorsqu’il vise des personnels missionnés pour former des esprits critiques et responsables. La patience, la modestie et la considération des enseignants de terrain pourraient donc, par contraste, valoir comme des vertus de l’institution scolaire contemporaine.
L’école paraît se heurter aujourd’hui à un troisième obstacle mental, relevant du déni de réalité. Ainsi, les tenants d’une « laïcité accommodante et accueillante », sont enclins, au prétexte de récuser le scientisme, à ignorer la réalité des remises en cause de l’explication rationnelle du monde. Et, par crainte d’imiter Voltaire dans son combat contre le fanatisme et de ressembler à des « fonctionnaires rationnels et donc infaillibles », ils ignorent la réalité de la résurgence du fanatisme et de l’obscurantisme, comme s’il suffisait de ne pas parler d’une réalité pour la faire disparaître. Pourtant, les idéologies de la haine exercent aujourd’hui une pression intimidante efficace, dans un contexte de précarité économique et de relégations sociales.
Si l’école laïque ne peut pas tout, cela ne veut pas dire qu’elle ne pourrait rien. La promotion volontariste des missions essentielles de l’école peut donner toutes ses chances à la laïcité scolaire contemporaine.
Les textes qui suivent reprennent les principaux articles du code de l’éducation relatifs à la laïcité scolaire (texte V.1), la charte de la laïcité à l’École (texte V.2), des commentaires d’articles de la charte (textes V.3, V.4, V.5), et des textes relatifs à la visée de la laïcité scolaire (textes V.6, V.7, V.8).
IV.1 – Le code de l’éducation
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Ressources proposées par l’APPEP pour l’enseignement moral et civique.